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Un village rayé de la carte : l’histoire de Lemieux dans l’est ontarien

Des image du glissement de terrain.

En 1993, une parcelle du défunt village de Lemieux grande comme 30 terrains de football américain, s’est affaissée.

Photo : Gracieuseté : Conservation de la Nation Sud

Il y a trente ans, au lendemain d’une pluie diluvienne, une partie entière du défunt village de Lemieux, dans l’est ontarien, était emportée par un impressionnant glissement de terrain, entraînant avec lui un riche chapitre de l’histoire de la communauté franco-ontarienne.

Le 20 juin 1993, Kevin McBride célébrait en famille la fête des Pères quand une parcelle de 17 hectares de terrain, l’équivalent de plus de 30 terrains de football américain, s’est affaissée, quelque part entre les villages de Bourget et Casselman, emportant tout sur son passage.

Lemieux est éventré. La faille principale fait 20 mètres de profondeur et s’étend sur plus de 320 mètres. Plus de 3,5 millions de mètres cubes de sédiments sont alors déversés dans la rivière Nation jusqu’à bloquer le cours d’eau sur des kilomètres. Le travail de nettoyage sera colossal.

La scène est marquée à l’encre indélébile dans la mémoire de M. McBride. Trois décennies plus tard, il entend encore le sol crier sa colère et gronder juste sous ses pieds.

Le son de la terre qui bougeait dans le sol, c’était comme un gros bruit de tonnerre. C’était incroyable de voir, en arrivant sur place, la puissance de dame Nature, qui peut transformer un paysage en si peu de temps, témoigne-t-il.

Inquiets pour les gens qui travaillaient sur des terres agricoles au moment du glissement de terrain, M. McBride et des proches ont décidé de s’approcher du lieu critique. C’est à ce moment qu'ils ont aperçu une personne en détresse, prisonnière de sa voiture.

Kevin McBride se laisse prendre en photo dans sa résidence.

Kevin McBride, ancien résident du village de Lemieux

Photo : Radio-Canada / Chantal Dubuc

On a vu une auto à l’envers au fond d’un trou de 80-90 pieds de profondeur. J’avais un bout de chaîne de 25 pieds, une autre personne avait une corde de 50 pieds. On a attaché les deux câbles ensemble pour avoir un accès. Avec de la chance, nous avions une trousse de premiers soins dans le camion, raconte-t-il.

Ils ont été les premiers répondants, en attendant les secours, ce qui a d’ailleurs valu à Kevin McBride un certificat de bravoure.

Les événements du 20 juin 1993 n’ont fait aucun mort. On ne déplore qu’un seul blessé. Mais le coût direct et indirect du glissement de terrain est estimé à plus de 12 millions de dollars.

Le paysage après le glissement de terrain en 1993 dans l'ancien village de Lemieux.

Revoyez nos images de 1993 et 1995 du glissement de terrain à Lemieux

Photo : Gracieuseté : Conservation de la Nation Sud

Un risque connu

Le tableau était plus spectaculaire que dramatique. En 1989, les autorités, bien renseignées sur les risques d’un glissement de terrain dans les environs de Lemieux, avaient suggéré aux résidents du village de quitter les lieux pour s’installer un peu plus loin, sur des sols plus stables. Ils avaient le choix d’effectuer des travaux de solidification des sols et des berges de la rivière Nation, sans garantie, ou de s'installer ailleurs, avec ou sans leur maison.

Kevin McBride, comme 27 autres propriétaires du secteur, a choisi de partir. Il a posé son baluchon à un peu plus d’un kilomètre et demi plus loin.

Quand on m’a fait l’offre, j’ai d'abord appelé mon avocat, raconte-t-il en riant. Mais j’ai ensuite accepté de partir. L’offre qu’on nous a faite était juste et raisonnable.

Les autorités avaient déjà été alertées des dangers dans le secteur. Le village de Lemieux avait été témoin de deux glissements de terrain majeurs, un premier en 1910 et un second en 1971.

Ça a été étudié. On savait que ça allait se produire. Ce n’était pas si ça allait arriver, mais quand ça allait arriver, souligne Louis Prévost, le directeur de l’urbanisme et de la foresterie du gouvernement régional des Comtés unis de Prescott et Russell.

Louis Prévost se laisse prendre en photo, à l'extérieur, dans une forêt.

Louis Prévost est directeur de l'urbanisme et de la foresterie au sein des Comtés unis de Prescott et Russell. Deux jours après le glissement de terrain, il s'est rendu sur place pour observer le phénomène.

Photo : Radio-Canada / Chantal Dubuc

M. Prévost était tout juste diplômé de l’université en géologie quand il s’est rendu sur place, curieux et fasciné, deux jours après le glissement de terrain, pour observer le phénomène.

Il se souvient d’avoir vu un paysage complètement dévisagé.

Si tu ne savais pas où était normalement la rivière [Nation], c’était impossible de s'orienter, tellement il y avait des débris, se souvient-il. Je n’avais jamais vu ça.

Louis Prévost explique que la zone longeant la rivière Nation, entre l’ancien village de Lemieux et de Casselman, est propice aux glissements de terrain. Les berges en portent d’ailleurs toujours les cicatrices aujourd’hui, dit-il.

C'est que la région repose sur un sol composé d’argile de Léda, une matière qui a tendance à se liquéfier lorsqu’elle se mélange à de grandes quantités d’eau. Il s’agit d’un héritage de la mer Champlain.

Un village fantôme

Il ne reste aujourd’hui que quelques rares vestiges du village franco-ontarien de Lemieux : le cimetière de la paroisse et une plaque commémorative. Même l’église du village a été détruite tout juste avant le glissement de terrain de 1993. Depuis, le secteur a été reboisé.

Le cimetière de la défunte paroisse Saint-Joseph de Lemieux, dans l'est ontarien.

Le cimetière de la paroisse Saint-Joseph de Lemieux est l'un des derniers vestiges du village.

Photo : Radio-Canada / Chantal Dubuc

Vous allez être déçu si vous cherchez le site du glissement de terrain. Quand on parle d’un village fantôme, Lemieux en est un bel exemple. [...] C’est quand même étrange de savoir que tout ce qui reste de ce village, ce sont ses pionniers qui y sont enterrés, partage Michel Prévost, président de la Société d'histoire de l’Outaouais et grand connaisseur de l’est ontarien.

L’ancien archiviste en chef de l’Université d’Ottawa revient sur la décision difficile de certains membres de la communauté de lever l’ancre. La démolition - préventive - de l’église Saint-Joseph de Lemieux en 1991 a d’ailleurs été ce qui a marqué symboliquement la mort du village, nouvellement centenaire.

Michel Prévost accorde une entrevue à l'extérieur.

Michel Prévost, président de la Société d'histoire de l’Outaouais

Photo : Radio-Canada

Je sais qu’il y a des paroissiens qui étaient tout à fait contre le fait de faire disparaître leur paroisse. [...] Les gens se sont mariés, se sont fait baptiser, ont célébré les funérailles de leurs parents… Quand on parle d’église, ce n’est pas que des murs et une décoration extérieure, c’est des pans de vie. Ça a été une très très grande déception, relate l’historien.

Quand, en 1991, on a démoli l’église, ça a fait mal à beaucoup, beaucoup de gens.

Une citation de Michel Prévost, président de la Société d'histoire de l’Outaouais

Michel Prévost rappelle d’ailleurs le caractère francophone du village, ce qui ajoute une autre dimension aux événements.

En plus, il fallait que ça tombe sur un village franco-ontarien! Déjà, on n’en a pas tant que ça des villages très francophones en Ontario, alors qu’il y en ait un comme ça qui est effacé de la carte, c’est sûr que pour la communauté franco-ontarienne, c’était aussi une perte, souligne le président de la Société d'histoire de l’Outaouais.

Une zone boisée.

Il ne reste que peu de traces du glissement de terrain du village de Lemieux en 1993, seulement quelques cicatrices. Depuis, le secteur a été reboisé.

Photo : Chantal Dubuc

Un territoire sous surveillance

Avec du recul, l’histoire a donné raison aux villageois qui ont décidé de partir pour s’installer, pour la plupart, ailleurs dans la région, note Michel Prévost.

Quant aux risques d’un éventuel glissement de terrain dans la région, ils sont réels, note le directeur de l’urbanisme et de la foresterie du gouvernement régional des Comtés unis de Prescott et Russell, Louis Prévost. Mais le phénomène est bien documenté et les autorités ont mis des mesures en place afin d’éviter un scénario semblable à celui de 1993 à Lemieux.

On a délimité les zones de glissement de terrain où l’on n’a pas le droit de nouvelles constructions et pas le droit de morceler des terrains. C’est vraiment réglementé. Mais oui, il y a toujours des risques. Il y a d’ailleurs toujours des résidents, une vingtaine si ma mémoire est bonne, qui habitent à l’intérieur de la zone de glissement de terrain. On espère que s’il y a un autre glissement de terrain, qu’il n’y ait aucune résidence affectée, mais la très grande majorité du territoire, c’est du terrain vacant, explique-t-il.

Avec les informations de Chantal Dubuc

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