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Que se passe-t-il vraiment à la frontière entre les États-Unis et le Mexique?

Une femme et deux fillettes de dos marchent à côté du mur frontalier.

Cette Équatorienne attend le traitement de sa demande d'asile, le 30 novembre 2023, à Jacumba Hot Springs, en Californie.

Photo : Getty Images / Mario Tama

Avec un record de 2,5 millions d'interceptions l'année dernière, l’immigration à la frontière entre les États-Unis et le Mexique est devenue le principal enjeu électoral pour les Américains, qui la citent dans les sondages comme la question qui les préoccupe le plus, avant même l’inflation.

Des records de passages clandestins

Le nombre d'interceptions à la frontière sud des États-Unis atteint des sommets : 300 000 en décembre 2023 et près de 1 million au cours des quatre derniers mois.

Les interceptions font référence autant aux arrestations qu’aux expulsions de personnes qui tentent d'entrer aux États-Unis illégalement ou qui se présentent aux points d'entrée officiels sans avoir les documents requis. Une même personne peut avoir été arrêtée ou expulsée à plusieurs reprises et compter donc pour plusieurs interceptions.

Cet afflux cause des maux de tête aux autorités, dépassées par la situation.

La tendance s’est pourtant amorcée il y a plusieurs années, note Ariel Ruiz Soto, chercheur principal au Migration Policy Institute, à Washington.

Les chiffres étaient en hausse en 2019, sous la présidence de Trump, malgré les politiques qu’il a mises en place, explique-t-il. Puis la pandémie est arrivée et les chiffres ont considérablement diminué. Mais dans les derniers mois de l’administration Trump, les chiffres recommençaient à augmenter.

Un nouveau type d'immigration

Nous continuons de faire face à de sérieux défis le long de notre frontière qui dépassent la capacité du système d'immigration, a récemment déclaré Troy A. Miller, commissaire par intérim des douanes et de la protection des frontières des États-Unis.

Si les responsables soutiennent que la frontière s’approche du point de rupture, ce n’est pas seulement à cause du nombre d’arrivants, mais également en raison du type de migration à laquelle ils font face.

Pendant des décennies, les migrants qui arrivaient à la frontière sud étaient des travailleurs mexicains à la recherche d’emplois saisonniers. C'est toute l’infrastructure frontalière qui a été bâtie en fonction de ce type d'immigration.

Désormais, de nombreuses familles de diverses origines qui fuient la violence ou la pauvreté se présentent à la frontière.

En arrivant aux États-Unis, elles demandent l’asile.

Une femme tenant un bébé et un homme accroupi par terre au regard triste.

Une famille péruvienne attend à la frontière, le 11 mai 2023.

Photo : Getty Images / Mario Tama

Bien que les Mexicains demeurent les premiers en nombre absolu, avec quelque 70 000 interceptions l’année dernière, ils ne représentent plus que le quart des migrants, alors que, jusque dans les années 2010, ils étaient près de 90 % des arrivants.

Les agents de la patrouille frontalière doivent passer une partie importante de leur temps à répondre aux besoins humanitaires des migrants arrêtés. Des tâches pour lesquelles ils ne sont pas préparés, déplore le Service des douanes et de la protection des frontières.

La migration est désormais fondamentalement différente, mais nous y répondons encore avec des outils politiques et institutionnels qui n'ont pas été conçus pour la situation actuelle, souligne Ben Rohrbaugh, ancien conseiller au ministère de la Sécurité intérieure des États-Unis et qui est maintenant chercheur au Centre Robert Strauss pour la sécurité internationale et le droit, que nous avons joint à Austin, au Texas.

Des femmes sont assises par terre sous la surveillance d'un agent américain.

Des immigrants demandant l'asile aux États-Unis sont coincés dans un camp de fortune entre les murs frontaliers entre les États-Unis et le Mexique, à San Diego, en Californie, le 13 mai 2023.

Photo : Getty Images / Mario Tama

Douglas Massey est professeur de sociologie à l’Université Princeton, au New Jersey. Il étudie la question de l’immigration depuis des décennies. La militarisation de la frontière, qui a commencé en 1986 et qui s’est accrue après le 11 Septembre, n’a, selon lui, rien donné par le passé et ne solutionnera rien à l’avenir.

Nous n'avons pas un problème d'immigration, mais plutôt un problème humanitaire que nous ne pouvons pas résoudre avec des actions policières, résume Douglas Massey.

Les gens fuient des situations désespérées et ils vont continuer à venir parce qu’ils n’ont pas d’autre solution.

Une citation de Douglas Massey, professeur de sociologie à l’Université Princeton

Le nombre d’agents de la patrouille frontalière a été multiplié par 10 entre 1980 et 2010. Ils sont actuellement environ 20 000, dont 90 % sont affectés à la frontière sud-ouest du pays.

Les États-Unis ont des accords avec le Mexique et les pays d'Amérique centrale afin d’expulser rapidement vers leur pays d’origine les migrants qui ne peuvent faire une demande d’asile, explique Ariel Ruiz Soto. Mais il n’y a pas toujours d’ententes de la sorte avec les nombreux autres pays dont les ressortissants arrivent maintenant à la frontière américaine.

Ceux qui sont autorisés à déposer une demande d’asile obtiennent un statut protégé temporaire, qui leur permet de rester en liberté en attendant que leur cause soit entendue, ce qui peut prendre plusieurs années.

Avec l’augmentation des demandes, les tribunaux d’immigration ne fournissent plus. Plus de deux millions de cas sont en attente, un chiffre qui a été multiplié par trois depuis 2017.

Plus encore, la situation des demandeurs ne correspond pas nécessairement à ce que stipule le droit d'asile, qui définit un réfugié comme une personne craignant d'être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, explique Ben Rohrbaugh.

Si vous êtes au Guatemala et que vous mourez de faim parce que la récolte de café a été mauvaise ou que vous êtes victime du crime organisé, ce sont des raisons très convaincantes pour partir, mais elles ne garantissent pas que vous obtiendrez l'asile.

Une citation de Ben Rohrbaugh, chercheur au Centre Robert Strauss pour la sécurité internationale et le droit

Blâmer les migrants, une formule payante

Face à cette nouvelle dynamique, les deux candidats pressentis à la présidence, Joe Biden et Donald Trump – qui ont d'ailleurs tous deux organisé une visite à la frontière jeudi –, appliquent encore les vieilles recettes, soulignent les chercheurs.

Donald Trump serre la main de gens qui tiennent des photos grand format de gens assassinés.

Donald Trump a accueilli à la Maison-Blanche des parents d'enfants assassinés par des migrants illégaux, en juin 2018. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / AFP / Mandel Ngan

Le discours de Donald Trump n’a pas changé : les migrants irréguliers incarnent une menace. La sécurisation de la frontière avec la construction d'un mur qu'il ferait payer par le Mexique était déjà son cheval de bataille en 2016, quand les interceptions étaient au point le plus bas depuis des années; elle l’est encore plus aujourd’hui alors qu’elles sont six fois plus élevées.

L'immigration clandestine empoisonne le sang de notre nation. Ils viennent des prisons, des établissements psychiatriques, de partout dans le monde.

Une citation de Donald Trump, candidat à la présidence des États-Unis

Au cours d’un éventuel deuxième mandat, il promet de sévir contre l'assaut des étrangers clandestins qui traversent nos frontières grandes ouvertes, menacent la sécurité publique, drainent le trésor public, affaiblissent les travailleurs américains et représentent un fardeau pour les écoles et les hôpitaux.

Pour cela, il propose de :

  • clôturer les brèches dans le mur;
  • interdire l’entrée aux États-Unis aux ressortissants de plusieurs États;
  • mettre fin à l’octroi automatique de la citoyenneté américaine aux enfants nés aux États-Unis de parents sans papiers;
  • réduire le nombre de réfugiés autorisés chaque année à s’installer aux États-Unis;
  • remettre en place son programme Rester au Mexique, qui obligeait les demandeurs d’asile de toutes origines à attendre la résolution de leur cas au Mexique.

En plus de bloquer l’arrivée de migrants sans papiers, il compte mettre en place la plus grande opération d'expulsion de l'histoire afin de traquer et d'expulser les 11 millions de personnes qui vivent et travaillent aux États-Unis sans en avoir l’autorisation légale. Il utiliserait pour cela une armée de 150 000 gardes nationaux.

Les démocrates durcissent le ton

Un homme tient des pancartes sur lesquelles on peut lire : « Président Biden, aidez la ville de New York » et  « Réglez la crise des migrants ».

Des manifestants prennent part à un rassemblement devant l'hôtel de ville de New York pour appeler le président Joe Biden à prendre des mesures urgentes pour faire face à la crise des migrants, le 31 juillet 2023.

Photo : Getty Images / KENA BETANCUR

À son arrivée à la Maison-Blanche, en 2021, Joe Biden a démantelé certaines des politiques les plus critiquées de son prédécesseur, notamment le Titre 42, mis en place pendant la pandémie, qui permettait aux patrouilleurs à la frontière d'expulser les migrants qui arrivaient illégalement en sol américain avant qu'ils ne puissent demander l'asile.

L’approche démocrate a été de tenter de décourager les entrées illégales et de favoriser les demandes d’asile faites aux postes frontaliers officiels ou auprès des nouveaux bureaux de mobilité mis en place dans plusieurs pays latino-américains afin d’atténuer la pression à la frontière.

Mais devant les résultats décevants et face aux pressions d’élus de leur propre formation politique, comme les maires de New York ou de Chicago, qui doivent accueillir des dizaines de milliers de demandeurs d’asile, le ton a changé. Les démocrates tiennent un discours beaucoup plus dur que par le passé.

Le président Biden se dit prêt maintenant à fermer la frontière s’il le faut. C’est d’ailleurs ce que prévoyait le récent projet de loi, rejeté par les républicains, qui aurait déclenché des expulsions de migrants si les passages illégaux atteignaient une certaine limite.

Les démocrates ont acheté le cadre de référence des républicains, estime Douglas Massey. Tout l’argent est mis dans la répression, les agents de patrouille et la surveillance à la frontière, alors que le système d’asile, de traitement des naturalisations et de délivrance des visas est sous-financé, déplore-t-il.

Changement de paradigme

Les groupes de pression demandent depuis des années une réforme du système d’immigration qui prenne notamment en compte l’affluence de demandeurs d’asile.

Ce système doit être plus juste et plus efficace, afin que les personnes qui ont besoin de protection et qui répondent aux demandes de protection puissent l’obtenir plus rapidement, souligne Ariel Ruiz Soto. Elles ne devraient pas avoir à attendre des années pour être fixées sur leur sort.

Malheureusement, pense-t-il, ce ne sera pas le cas de sitôt, alors que la partisanerie et la polarisation sont à leur comble aux États-Unis.

Lorsque l’immigration est politisée à un tel point, cela devient difficile de réaliser les changements nécessaires.

Une citation de Ariel Ruiz Soto, chercheur principal au Migration Policy Institute

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