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La Seine-Saint-Denis, là où l’on jugera l’héritage des Jeux olympiques de Paris

La tenue des Jeux d’été et les milliards investis peuvent-ils transformer la banlieue parisienne mal-aimée?

De nombreuses personnes sur une place publique.

La Seine-Saint-Denis est une banlieue au nord de Paris.

Photo : Radio-Canada / Sergio Santos

SAINT-DENIS, France - Le concert des grues et des marteaux-piqueurs nous oblige à hurler pour s'entendre parler au centre-ville de Saint-Denis, en banlieue nord de Paris.

Voilà les travaux, c’est formidable comme décor. Attention, on va nous écraser! lance Sakinna en nous avertissant de laisser passer un camion qui file à toute vitesse vers le chantier qu’est devenue la place du marché, devant l'hôtel de ville, un des nombreux sites du département de Seine-Saint-Denis qui se refait une beauté.

Cela dure depuis des années, et la construction ira bien au-delà des Jeux olympiques d’été. Saint-Denis est en pleine métamorphose.

En effet, si l'événement le plus médiatisé de la planète se tiendra en partie au centre-ville de Paris, la majorité des épreuves et une bonne partie de l’action sont prévues de l'autre côté du périphérique, dans le département de Seine-Saint-Denis.

Du village des athlètes aux compétitions de nage et d'athlétisme, Saint-Denis, banlieue mal-aimée connue comme l’un des départements les plus pauvres de France, sinon le plus pauvre, se prépare à recevoir le monde entier.

Le 93, comme on dit en France, est-il donc un choix audacieux pour accueillir les Jeux? Un choix calculé, plutôt, puisque la candidature de Paris reposait sur deux grands principes.

Un, organiser des Jeux en se servant d'infrastructures existantes (comme le grand Stade de France, qui a pignon sur rue à Saint-Denis) pour éviter des coûts extravagants.

Deux, léguer à la ville hôte un héritage durable pour améliorer le sort de ses habitants.

« C’est pour l’image, pas pour les résidents »

Il faudrait que les Jeux soient la renaissance de Saint-Denis, mais je ne sais pas si c’est vraiment le cas, nous dit Sakinna, qui habite dans un HLM non loin de l'hôtel de ville.

Sakinna discute avec Ibrahim dans la rue.

Sakinna et Ibrahim doutent que les Jeux bénéficient aux résidents de Saint-Denis.

Photo : Radio-Canada / Sergio Santos

Les rats chez moi sont plus gros que les chats, n’est-ce pas? dit-elle en s'adressant à Ibrahim, un jeune entrepreneur qui se joint à la discussion au sujet de leur qualité de vie.

Vous en pensez quoi, des Jeux? Vous, les jeunes, ça va vous profiter? lui demande Sakinna.

Non, c'est pour l’image, pas pour les résidents, répond le vendeur de parfums, qui vient déposer des échantillons dans une boutique du coin.

Ibrahim a lui aussi grandi à Saint-Denis, où plus de 40 % des logements sont des HLM, dans des cités. Ces immenses complexes d’habitations, souvent délabrés, sont devenus avec le temps synonyme de criminalité et symbole des émeutes et de la misère sociale dans les banlieues parisiennes, où des personnes originaires de plus de 130 pays se côtoient.

Je n'arrive pas à comprendre ça, avec toute la richesse qu'il y a déjà côté culturel, avant même de parler argent, etc., je ne comprends pas. Si l'État pouvait aider les gens qui habitent ici, ce serait le meilleur département de France.

Une citation de Ibrahim Brière de Lisle, vendeur de parfums

S’il concède que les projets d’infrastructure et de rénovation qu'amènent les Jeux sont plus que bienvenus, Ibrahim doute que cela changera vraiment la vie des jeunes, qui sont dans l'insécurité et sont parmi les moins diplômés de France.

Ils ont des millions pour les Jeux et après, ce sera au revoir, merci, et rien pour nous, comme ils ont fait avec le Stade de France, renchérit Sakinna.

Construit en 1998 pour accueillir la Coupe du monde de soccer, le Stade de France a bel et bien changé la donne à Saint-Denis en matière de transport et d’accessibilité.

Plusieurs multinationales se sont aussi installées dans la région, mais l’activité économique n’a pas su profiter aux résidents de Saint-Denis, où le taux de chômage est trois fois plus élevé qu’ailleurs en France et où le tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté.

Moi, je n'espère même pas pour moi. Ce que j'espère, comme le jeune Ibrahim, c’est que ça sera pour les jeunes, que les jeunes vont bénéficier de ces Jeux olympiques, qu’ils auront des emplois, que leur vie changera, qu'il y aura la sécurité des cités. Il n’y a pas de sécurité.

Une citation de Sakinna Boukhedenna

Les défis sont énormes, aussi grands que les projets olympiques en soi.

Changer l’image de Saint-Denis

Bien qu’il soit difficile de mesurer l’impact qu’auront les Jeux, il est évident que leur organisation représente une occasion en or de changer l’image de Saint-Denis aux yeux du monde et, à plus long terme, d'attirer des touristes, des emplois et des résidents mieux nantis.

Mathieu Hanotin montre sa ville d'un point de vue élevé.

Le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, veut changer l'image de sa ville aux yeux du monde.

Photo : Radio-Canada / Sergio Santos

C’est du moins l’objectif que s'est fixé le jeune maire socialiste de Saint-Denis, Mathieu Hanotin.

Évidemment, on compte sur les JO pour nous aider dans ce changement d'image en profondeur. Si cette mauvaise image est basée sur un certain nombre de choses vraies, comme la délinquance, elle n'est basée que sur une partie des choses, et nous, on veut montrer que ce modèle cosmopolite et multiculturel que nous incarnons, eh bien demain, il peut devenir attrayant.

Une citation de Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis

Surtout quand on y injecte, d’un coup, des centaines de millions d’euros. La majorité des investissements privés et publics pour les Jeux de Paris ont été faits dans les trois villes du département qui accueilleront les Jeux, soit Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine et L’Île-Saint-Denis.

Là, vous voyez la rénovation urbaine, les immeubles qui seront rénovés, dit le maire en regardant le paysage urbain du haut du toit de l'hôtel de ville.

Mathieu Hanotin montre ensuite la pièce de résistance, le village olympique, l’une des deux seules constructions flambant neuves des Jeux de Paris.

Des bâtiments du village olympique.

Le village olympique est à cheval sur les villes de Saint-Denis et de Saint-Ouen-sur-Seine.

Photo : Radio-Canada / Tamara Altéresco

Le village des athlètes a poussé à une vitesse éclair sur ce qui était autrefois un terrain industriel de 52 hectares, en bordure de la Seine.

À 100 jours des cérémonies d’ouverture, on ne peut que l’admirer, derrière les clôtures qui le protègent encore des intrus, mais on y découvre une enfilade d'immeubles colorés et modernes qui accueilleront plus de 14 000 athlètes.

C'est la première fois, selon les organisateurs des Jeux, que le village des athlètes est conçu spécialement pour l'après-Jeux, avec des pistes cyclables, des passerelles piétonnes pour traverser la Seine, des écoles et des cliniques, pour les quelque 6000 personnes qui, dès 2025, pourront y aménager.

Houria, une femme dans la cinquantaine, est une des premières personnes à qui on a offert de s’installer dans ce nouveau quartier.

Elle vit présentement dans un HLM négligé, situé juste en face, qui sera démoli l’an prochain dans le cadre du grand ménage entrepris dans le secteur il y a des années, mais qui s'accélère avec la tenue des Jeux.

Une femme derrière des plantes sur un balcon.

Le HLM dans lequel vit Houria depuis 40 ans sera démoli. Elle sera une des premières à emménager dans le village des athlètes en 2025.

Photo : Radio-Canada / Tamara Altéresco

C’est bien, l'idée de vivre dans du neuf, why not, comme on dit, et j'espère qu’ils vont nous les remettre en bon état, dit-elle en montrant du doigt un immeuble vert pâle, son préféré parce qu'il fait face à la Seine.

Les trois quarts des logements seront en effet transformés en logements sociaux ou en logements locatifs à prix abordable. Le reste des unités sera vendu à des particuliers, mais déjà, le prix du mètre carré s'affiche bien au-dessus de la moyenne du secteur.

Cela n’est pas sans soulever chez plusieurs les craintes que l'embourgeoisement s’empare de la ville, comme c’est arrivé ailleurs où les Jeux olympiques sont passés.

Un immeuble du village olympique.

Un immeuble du village des athlètes qui sera en partie converti en logements sociaux.

Photo : Radio-Canada / Tamara Altéresco

Le maire Hanotin insiste pour dire qu’il faut mettre fin au séparatisme social tel qu’il se vit dans les banlieues de Paris.

Les dynamiques qui visent à concentrer les difficultés sociales sur une même aire géographique, ça ne marche pas. Ça ne fonctionne nulle part. Nous, on mise sur un équilibre social.

Une citation de Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis

Des infrastructures sportives en héritage

Il n’y a pas que le village des athlètes qui sera légué à la communauté. Celle-ci pourra aussi compter sur un mégacomplexe aquatique, inauguré au début du mois d'avril par le président Emmanuel Macron.

Ce centre représente notre projet, il va changer la vie des gens, a déclaré M. Macron. Plus de la moitié des enfants du département de Seine-Saint-Denis ne savent pas nager, faute d'infrastructure dans leur quartier.

Lors de notre visite à l’une des trois nouvelles piscines conçues pour les Olympiques, celle qui servira à l'entrée des athlètes pour les compétitions de water-polo, de jeunes écoliers profitaient déjà du site, 100 jours avant les Jeux, constatait avec joie la conseillère pédagogique Alexandra Aifoun.

Des enfants se baignent dans une piscine.

À Saint-Denis, de jeunes écolières et écoliers profitent déjà d'une des piscines conçues en vue des Jeux olympiques.

Photo : Radio-Canada / Tamara Altéresco

Beaucoup d'enfants ne savent pas nager lorsqu'ils arrivent à l'école, et même souvent lorsqu'ils arrivent au collège. Donc, voilà, ça va permettre de développer l'enseignement du savoir-nager dans le département, ça c'est certain. Je ne veux pas dire que c'était inespéré, mais c’est sûr que, pour nous, les Jeux à Saint-Denis, c'est une aubaine quand on y pense.

Une citation de Alexandra Aifoun, conseillère pédagogique

Mais il faudra plus que des piscines, malgré tout le bien qu’elles représentent, pour changer la dynamique et le moral dans les cités comme celle du Franc-Moisin, où plusieurs jeunes traînent dans la rue après l'école.

Les Jeux olympiques? J’en n’ai rien à foutre, madame, nous dit un jeune perché sur sa trottinette.

C’est chez nous ici et on ne nous a rien demandé, ça ne va rien nous amener. On voit des anneaux olympiques partout, mais on ne se fait pas d’illusions, et on va mettre le feu, prévient le même jeune en nous conseillant de faire attention et de quitter les lieux.

Des adolescents devant l'entrée du centre sportif de la cité de Franc-Moisin.

Le centre sportif de la cité de Franc-Moisin, à Saint-Denis

Photo : Radio-Canada / Sergio Santos

Entraîneur de boxe au centre sportif de Franc-Moisin, Mohammed Hanzaz, ou Momo, comme tout le monde l'appelle, tient un discours plus nuancé.

C’est une cité qui était très dure, mais aujourd'hui, tout le monde se connaît. On est une grande famille. Il y a de la colère et les jeunes viennent ici une heure et demie se défouler, se changer du quotidien, explique-t-il.

Mohammed Hanzaz constate que les Jeux olympiques ont amené à Saint-Denis une nouvelle énergie, mais il ne voit sincèrement pas en quoi cela va changer le quotidien des jeunes qu'il essaie de motiver.

Mohammed Hanzaz, portant des gants de boxe, entraîne un jeune homme portant aussi des gants de boxe dans un gymnase, avec un ring à l'arrière-plan.

Mohammed Hanzaz, dit Momo, est entraîneur de boxe au complexe sportif de la cité de Franc-Moisin.

Photo : Radio-Canada / Sergio Santos

Aladin, un père de famille, aimerait bien croire aux promesses du maire et à la mixité sociale.

Mais comme dit la chanson de Iam, derrière la dernière couche de peinture, c’est toujours la même merde. C'est le manque de moyens, ce n’est pas les mêmes écoles et je pense que c'est un calcul, ce n'est pas aléatoire, ce n'est pas par hasard.

Une citation de Aladin

Si accueillir les Jeux olympiques est devenu aujourd’hui le symbole de possibilités sociales, c’est ici à Saint-Denis, et non à Paris, qu'on en jugera l'héritage, dit un jeune de 18 ans qui s’entraîne au centre de Franc-Moisin. Il y aura un regard différent sur nous en banlieue, c'est sûr, mais après ça, c’est chacun sa chance, enfin, si on peut parler de chance.

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