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Vendre Tembec aux Américains a signé la fin de l’usine de Témiscaming, croit le fondateur

Le complexe de Rayonier à Témiscaming vu de l'autre côté de la rivière des Outaouais.

Au complexe de Rayonier à Témiscaming, 275 personnes seront bientôt mises à pied.

Photo : Radio-Canada / Bianca Sickini-Joly

Le fondateur de la forestière Tembec, Frank Dottori, estime que la fermeture pour une durée indéterminée de l’usine de production de cellulose à Témiscaming était prévisible.

Le 1er mai, l'entreprise forestière Rayonier Advanced Materials (RYAM) a annoncé la mise à pied de 275 personnes à son usine de Témiscaming à partir du 2 juillet.

La compagnie ferme complètement sa chaîne de production de cellulose de haute pureté (CHP) pour une durée indéterminée. Les deux autres chaînes de production, qui emploient plus de 400 personnes, sont à vendre.

C'est en 2017 que RYAM avait acheté l’entreprise Tembec, qualifiée à l’époque de fleuron québécois. La valeur de cette transaction s'était établie à 1,1 milliard de dollars.

L’usine de Témiscaming est maintenant le dernier actif de la firme RYAM qui reste de cette transaction depuis qu'elle a vendu six scieries, en 2021.

C’était évident que ça s’en venait parce que la compagnie prenait toutes les technologies de haute qualité et hautement rentables et les envoyait aux États-Unis, laissant seulement les produits de base à faible marge de profit au Témiscamingue. C’est exactement ce qu'International Paper a fait dans les années 1970, c’est exactement la même histoire qui se répète, affirme l’homme d’affaires Frank Dottori, maintenant à la retraite.

Frank Dottori s'inquiète pour l'industrie canadienne du bois d'œuvre.

Frank Dottori, fondateur de Tembec. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Francis Ferland

Frank Dottori a fondé Tembec en 1973 dans des circonstances similaires. Alors que l’entreprise américaine International Paper avait annoncé la fermeture de l’usine de Témiscaming, M. Dottori a pris part à sa relance. Il est resté à la tête de l’entreprise jusqu’en 2006. Son travail lui a valu de nombreuses distinctions, dont l’Ordre du Canada en 1989.

Les compagnies doivent faire de l’argent. Si tu as deux usines et que tu peux optimiser une usine pour maximiser ton profit, tu peux fermer l’autre. Du point de vue de RYAM, c’est une bonne décision économique, mais il n’y a pas de considération sociale pour les gens sur place, affirme Frank Dottori en faisant référence au fait que RYAM est aussi propriétaire d’une usine à Jacksonville, aux États-Unis.

Lors de la transaction, RYAM n’avait pas caché que son intention était principalement de mettre la main sur l'expertise acquise par Tembec dans le secteur de la fibre cellulosique.

Lors d’une rencontre avec des élus du Témiscamingue la semaine dernière, l’entreprise a confirmé qu'elle avait transféré les recettes les plus payantes dans son usine de Jacksonville et dans une autre usine située en France.

Ce sont les demandes de produits et les besoins de nos clients qui nous permettent d'établir où les grades seront produits, nous a répondu l’entreprise RYAM par courriel.

C’est comme si quelqu’un tuait mon bébé. Je suis émotif par rapport à ça.

Une citation de Frank Dottori, fondateur de Tembec

J’ai passé une bonne partie de ma vie à bâtir ce qui est devenu une compagnie internationale. La voir revenir en arrière et retourner où elle était il y a 50 ans, c’est difficile, explique l’homme de 86 ans, qui demeure toujours au Témiscamingue. Il souhaite que la communauté se lève comme elle l’avait fait dans les années 1970.

On aura besoin de leaders, ça ne se fera pas tout seul. J’espère que des leaders vont se lever et que le gouvernement va prendre une position ferme, ajoute Frank Dottori. Il s’explique mal que les deux paliers de gouvernement tolèrent des transactions comme celle qui a fait passer Tembec aux mains de RYAM. M. Dottori, qui s’est retiré de Tembec en 2006, assure qu’il n’aurait jamais fait une telle transaction s’il avait encore été à la tête de cette entreprise québécoise au moment de la vente, en 2017.

James Lopez et Paul Boynton se serrent la main.

Le président et chef de la direction de Tembec, James Lopez, et son homologue de Rayonier Advanced Materials, Paul Boynton, lors de l'annonce de la vente de l'usine en 2017. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Les Canadiens doivent être propriétaires et contrôler leur destinée, contrôler leurs usines. Le gouvernement devrait introduire des lois qui mentionnent que des compagnies étrangères doivent avoir des filiales canadiennes avec une majorité de directeurs canadiens. On est le seul pays au monde qui n’a pas ça, je pense, ajoute Frank Dottori, visiblement amer de la tournure des événements.

RYAM assure pour sa part que l’achat de Tembec a été une excellente décision qui a profité à la région mais que les conditions actuelles du marché ne sont pas favorables. Notamment l'incertitude quant à la disponibilité de fibres de bois à prix abordable et les coûts fixes et d'investissement élevés ont posé de grands défis, précise l’entreprise américaine par courriel.

Déjà des réserves en 2017

Le syndicat qui représente les travailleurs de l’usine de Témiscaming avait émis des inquiétudes en 2017 lors de la transaction entre Tembec et RYAM.

Le président du syndicat de l’époque, Roger Gauthier, s’inquiétait pour les emplois. On est inquiets [au sujet] des emplois, on est inquiets [au sujet] de la région. [Vont-ils] penser au cœur de la région, penser à nous autres? s'interrogeait le syndicaliste.

On n'était pas rassurés quand ce sont des Américains qui ont pris la direction de l’usine. À l'époque, on craignait des scénarios comme celui qui est en train de se produire, affirme maintenant le directeur québécois du syndicat Unifor, Daniel Cloutier.

Daniel Cloutier pose pour la photo devant une carte géographique.

Daniel Cloutier, directeur provincial du syndicat Unifor.

Photo : Radio-Canada / Martin Guindon

Cette crainte s'est amplifiée dernièrement lorsque l’entreprise a annoncé qu'elle avait pris la décision de transférer la production des produits plus payants à son usine de Jacksonville, aux États-Unis.

On avait une grosse inquiétude parce que ce qu’ils font à l’usine, c'est comme les produits de base. Les produits à valeur ajoutée à partir de cellulose auraient été retirés à l’usine et faits ailleurs, explique Daniel Cloutier, qui estime que la décision de l’entreprise était prévisible dans un contexte difficile pour l’industrie forestière.

RYAM indique pour sa part qu’il s'agit d’une suspension des activités pour une durée indéterminée et non d’une fermeture temporaire.

Nous sommes incapables, à ce stade-ci, d'envisager un moment où les conditions actuelles du marché se seront améliorées ni quand la problématique des coûts fixes et d'investissement élevés associés à l'usine CHP sera résorbée, explique l’entreprise en rappelant que RYAM procédait à une révision stratégique du site de Témiscaming et qu’elle devait se départir de ses actifs non stratégiques [l'usine de carton couché et l’usine de pâte à haut rendement].

Québec assure qu'il cherche des solutions

La ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, ne croit pas qu’il faut fermer la porte aux investisseurs étrangers dans le secteur forestier.

Maïté Blanchette Vézina devant un micro.

Maïté Blanchette Vézina, ministre des Ressources naturelles et des Forêts du Québec. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

On a besoin d’investisseurs étrangers dans certaines de nos filières. Il est certain qu’on veut continuer d’accompagner les partenaires du milieu pour cette situation particulière. Notre comité interministériel a justement une vision avec des actions potentielles qui pourraient être prises, mais en partenariat avec le milieu et les communautés locales, a-t-elle expliqué en entrevue à l’émission Ça vaut le retour sans donner davantage de détails.

La ministre souligne par ailleurs que ses collègues travaillent à trouver un équilibre entre le développement économique et la protection de la biodiversité dans tout le secteur forestier.

Le statut quo n’est plus possible. Ce n'est pas juste moi qui le dis, [c'est] l’ensemble des gens sur le terrain lors des tournées dans les 12 régions du Québec. Ils nous ont nommé ce constat qu’on doit revoir des choses et on est prêts à le faire, a-t-elle affirmé en ajoutant que le rapport de son ministère, qui fera suite à ses consultations, sera dévoilé en juin.

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