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L’Ouest canadien face à des pénuries d’eau

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L’Ouest canadien face à des pénuries d’eau

Texte et photos par Benoît Livernoche

Publié le 1 avril 2022

Le Canada possède 20 % des ressources d'eau douce de la planète. Pour plusieurs, l'eau ici est une ressource inépuisable. Cela explique sans doute pourquoi nous sommes les plus grands consommateurs de cette ressource au monde. Pourtant, au Canada, les défis de la gestion de l'eau existent déjà à plusieurs endroits.

Dans ce premier texte d'une série de trois, nous explorons comment la fonte des glaciers dans les Rocheuses menace la disponibilité de l'eau dans les Prairies.

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Une crevasse sur le glacier Peyto.
Une grande crevasse formée en un an seulement. Cela témoigne de la rapidité de la fonte du glacier Photo : Benoît Livernoche

Au début de juillet 2021, alors qu'une forte canicule s'abat dans l'ouest du pays, l'été s'annonce difficile pour l'agriculteur Brian Otto, que nous rencontrons sur sa terre près de Warner, dans le sud de l'Alberta. Il y a une dizaine d'années, nous l'avions rencontré au même endroit pour parler eau : comment la gère-t-il depuis pour cultiver la terre dans cette région semi-aride? La réponse est fort simple : ce fermier, comme la grande majorité des agriculteurs des Prairies, dépend seulement des précipitations pour ses cultures.

Si à l'époque il se décrivait comme un optimiste face aux aléas de la nature, cette fois, le manque de précipitations commence à peser lourd. Il est normal de connaître deux années de sécheresse consécutives. Mais au cours des cinq dernières années, nous en avons eu quatre, nous raconte l'agriculteur.

Brian Otto a beau prier ou espérer, s'il n'y a pas de pluie, ses cultures vont en souffrir. Si on est chanceux, nous aurons un tiers de notre rendement moyen cette année, poursuit Brian Otto. Le reste de la saison lui donnera malheureusement raison.

Terres asséchées.
La sécheresse frappe l'Alberta à l'été 2021. Photo : Radio-Canada

C'est le genre d'année qui peut mener une ferme à la faillite, nous lance cette fois l'agriculteur David Bexte, qui exploite une ferme à une centaine de kilomètres au sud-est de Calgary. Pendant longtemps, David Bexte dépendait aussi de la pluie pour ses cultures. Mais depuis trois ans, il a la chance d'avoir accès à de l'irrigation.

On peut maintenant irriguer parce que les autorités ont fait un très bon travail de préservation de l'eau, ce qui ouvre la porte de l'irrigation à plus d'agriculteurs, nous dit sans détour David Bexte. Pour lui, la décision de se brancher au réseau de distribution d'eau était évidente. Cela réduit sans aucun doute les risques, augmente le rendement et améliore notre situation économique, renchérit l’agriculteur.

David Bexte marche dans son champ.
L'agriculteur David Bexte bénéficie de l'eau du système d'irrigation. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

L'Alberta possède à elle seule les trois quarts de toutes les terres irriguées au Canada et la majeure partie de ce système se trouve dans le sud de la province. L'irrigation favorise une agriculture plus stable et plus performante dans cette région aride. À preuve, seulement 6 % des terres agricoles de l’Alberta sont irriguées, mais elles génèrent à elles seules près de 60 % des revenus agricoles de la province.

Un approvisionnement régulier en eau signifie que les agriculteurs peuvent cultiver des espèces de plus grande valeur telles que les pommes de terre, le soja et les betteraves à sucre.

« L'irrigation a permis de doubler, tripler, voire quadrupler la quantité de nourriture que cette terre produit. C'est très convaincant! »

— Une citation de   David Bexte, agriculteur, Mossleigh, Alberta
Un barrage sur un canal d'irrigation.
L'Alberta détient plus de 70 % de tous les systèmes d'irrigation au pays. La majorité se trouve dans le sud de la province. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

La petite histoire de l'irrigation en Alberta

Avant même la création de la province de l'Alberta (officialisée le 1er septembre 1905), ce sont les colons mormons qui ont développé les premiers l'irrigation dans le sud de la province. Venus de l'Utah, ces pionniers se sont appuyés sur l'expertise développée sur leur terre natale, aussi aride.

Les travaux de construction d'un canal de 184 km au sud-ouest de la ville de Lethbridge ont été achevés en 1900. Ce premier système a permis d'ouvrir des milliers d'hectares de terres à la colonisation.

Par la suite, en 1903, la compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique (CP), qui détenait plusieurs territoires, a entamé la construction de canaux de dérivation de la rivière Bow à l'est de Calgary, dans le but d'ouvrir des centaines de milliers d'hectares de terres à la culture irriguée. Cette aventure n'a pas été avantageuse économiquement pour le CP, mais ces travaux sont à l'origine du système d'irrigation d'aujourd'hui.

(Source: Gouvernement de l'Alberta)

John Pomeroy sur le glacier Peyto.
L'hydrologue John Pomeroy suit l'état du glacier Peyto depuis des décennies. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Une réserve d’eau nommée Rocheuses
Une réserve d’eau nommée Rocheuses

L'eau qui fournit le système d'irrigation en Alberta provient de vastes réservoirs de rétention construits à même les rivières qui parcourent la prairie. De nombreux canaux et tuyaux acheminent l'eau depuis ces réservoirs vers les terres environnantes. Mais toute cette eau ne provient que d'un seul endroit : les montagnes Rocheuses.

C'est une immense réserve d'eau, nous dit d'emblée l'hydrologue John Pomeroy, que nous rencontrons au mont Fortress, dans la région de Kananaskis, à l'ouest de Calgary.

Depuis des années, le chercheur dirige des recherches sur l'eau partout dans le monde. Au Canada, il travaille surtout dans les Rocheuses, où il suit l'état des glaciers et les accumulations de neige.

John Pomeroy veut aujourd'hui nous montrer ce qu'il appelle un observatoire hydrologique. Cette station de recherche contient de nombreux instruments de mesure climatiques et météorologiques qui permettent de faire un suivi sur les précipitations, surtout de neige. On y calcule entre autres l'épaisseur, la densité et la fonte des manteaux neigeux. Il s'agit certainement du site de mesure de neige le plus instrumenté au Canada, affirme fièrement John Pomeroy.

John Pomeroy qui regarde au loin, dans les Rocheuses.
John Pomeroy au mont Fortress, dans la région de Kanasnakis, en Alberta. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Étudier tout changement dans les précipitations ici est névralgique, car les Rocheuses sont à la tête de vastes bassins hydrographiques, dont l'important bassin de la rivière Saskatchewan. Ce bassin versant comporte plusieurs cours d'eau qui traversent l'Alberta, la Saskatchewan, pour se jeter dans le lac Winnipeg au Manitoba, qui se déverse en direction de la baie d'Hudson.

Ces rivières alimentent les systèmes d'irrigation destinés à l'agriculture et sont la source d'eau potable des villes de Calgary, Edmonton et Saskatoon.

« Quand vous allez à Saskatoon et que vous voyez la rivière Saskatchewan Sud, seulement 1 % du débit de cette rivière provient de la Saskatchewan. Le reste vient des Rocheuses. »

— Une citation de   John Pomeroy
Des Rocheuses à la baie d'Hudson 

Si les Rocheuses sont qualifiées de réserve d'eau, c'est surtout grâce aux précipitations de neige qui y tombent et qui sont stockées dans les glaciers. Durant une saison dite normale, il y a une bonne accumulation de neige en hiver.

Au printemps, une fonte graduelle de la neige a pour effet de favoriser un débit adéquat dans les rivières jusqu'à tard en saison estivale. Mais avec les changements climatiques, les précipitations de pluie se multiplient en hiver. Cela affecte l'accumulation de neige.

Aussi, l'augmentation des températures fait en sorte que la fonte de la neige arrive de plus en plus tôt. Ce qui favorise les inondations au printemps et un manque d'eau au mois d'août ou en septembre, alors que les besoins en eau pour l'agriculture sont importants à cette période. C'est comme si on vidait rapidement un compte de banque avant l'arrivée des paiements, affirme John Pomeroy.

Les données recueillies à la station du mont Fortress confirment que les changements climatiques modifient le cycle hydrologique des Rocheuses. Au cours des prochaines décennies, nous aurons des conditions beaucoup plus chaudes, beaucoup moins de neige et beaucoup plus de pluie, et les glaciers auront probablement tous fondu d'ici la fin du siècle, se désole John Pomeroy.

Une langue de neige.

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Le glacier recule avec le temps. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Le glacier Peyto, symbole du réchauffement climatique
Le glacier Peyto, symbole du réchauffement climatique

Fin août 2021, John Pomeroy nous guide sur le glacier Peyto, dans le parc national de Banff, en Alberta.

Ce glacier, situé à environ 100 km au nord-ouest de la ville de Banff, fait partie du champ de glace Wapta, qui chevauche la frontière entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. C'est le premier glacier au monde à faire l'objet d'une surveillance accrue, précise le chercheur.

Observé pour la première fois en 1896, mais étudié depuis 1965, le glacier Peyto est suivi grâce à de nombreux instruments qui en documentent la fonte. Ces instruments surveillent aussi l'évolution du climat. Ce suivi montre une déglaciation si rapide que c'en est stupéfiant! poursuit M. Pomeroy. En effet, selon les données, le glacier a perdu plus de 70 % de sa masse!

Vue aérienne du glacier Peyto.
Le glacier Peyto, jadis, remplissait toute cette vallée. Il a perdu plus de 70 % de sa masse depuis 1965. Photo : Benoît Livernoche

Pour bien nous décrire l'ampleur de la réduction du glacier Peyto, l'hydrologue nous montre toute la vallée qui, jadis, était remplie de glace. Il nous amène à un endroit sur le glacier, tout près d'une crevasse qui s'est formée durant la dernière année.

Selon lui, cette crevasse témoigne des changements rapides que subit le glacier. Ici, raconte John Pomeroy, si nous étions en 1965, nous serions au moins 200 mètres plus haut en altitude sur la glace qui a aujourd'hui disparu.

« La fonte du glacier démontre à la fois visuellement et scientifiquement l'impact des changements climatiques. »

— Une citation de   John Pomeroy, hydrologue, Université de la Saskatchewan
John Pomeroy sur la glace
John Pomeroy observe une grande crevasse qui s'est formée il y a à peine un an.  Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Une année dévastatrice pour Peyto

L'été 2021 a été marqué par des records de températures dans l'ouest du pays. Une grande partie de la Colombie-Britannique et de l'Alberta a subi ce que les météorologues appellent un dôme de chaleur, un système de haute pression persistant où des températures extrêmes ont été atteintes. On n'a qu'à penser au record de 49,6 degrés Celsius atteint à Lytton, en Colombie-Britannique.

Pendant ce temps, les glaciers aussi souffraient de la chaleur. Nous avons enregistré des températures de 14 degrés sur le glacier Peyto, ce qui est extrêmement chaud pour un glacier, affirme le professeur Pomeroy, qui précise que, normalement, les vents sur un glacier sont de quelques degrés au-dessus de zéro.

Et il y a eu l'impact des feux de forêt en Colombie-Britannique. Les nuages de fumée ont transporté des cendres et de la suie, qui se sont déposées sur le glacier et en ont assombri la surface. Des algues et des bactéries ont rendu la glace encore plus sombre. Cette glace, devenue plus noire, fond beaucoup plus rapidement.

Vue aérienne du glacier Peyto.
La fumée et la suie des feux de forêt de Colombie-Britannique ont noirci le glacier Peyto, ce qui accélère la fonte des glaces. Photo : Benoît Livernoche

Le glacier Peyto, comme la centaine de glaciers encore présents dans les Rocheuses, retient les accumulations de neige. Le glacier agit comme un thermostat qui contrôle la température. Cela permet de ralentir la fonte de la neige. Mais durant une année de sécheresse comme celle de 2021, lorsque toutes les autres sources de débit des rivières se sont taries, alors, la fonte des glaces est tout ce qui nous reste pour soutenir le débit des rivières, précise John Pomeroy.

Les chercheurs estiment que le front du glacier Peyto aura reculé, en 2021 seulement, d'environ 7 mètres, ce qui est la plus importante perte documentée à ce jour, selon John Pomeroy, qui ne mâche pas ses mots.

« C'est apocalyptique! Nous savions que ce glacier n'allait pas survivre au 21e siècle, mais là, nous le voyons fondre beaucoup plus tôt que prévu. Je ne pense pas qu'il va se rendre en 2050… probablement même pas en 2030. »

— Une citation de   John Pomeroy, hydrologue, Université de la Saskatchewan
Vue d'une rivière avec des terres agricoles.
La rivière Red Deer en Alberta fait partie du bassin hydrographique de la rivière Saskatchewan. L'eau de cette rivière provient des Rocheuses. Photo : Benoît Livernoche

Les défis climatiques des Prairies
Les défis climatiques des Prairies

Si les changements climatiques affectent les Rocheuses, ils ont aussi un impact majeur dans les Prairies. Les Prairies sont un des endroits dans le monde où les changements climatiques sont les plus importants, affirme l'hydrologue Stefan Kienzle de l'Université de Lethbridge. Nous le rencontrons devant l'un des réservoirs d'eau qui servent à l'irrigation des terres agricoles, au sud-ouest de la ville de Lethbridge.

Le chercheur analyse l'apport en eau dans les Prairies en lien avec l'évolution du climat. Il a compilé et analysé les données climatiques et météorologiques des 70 dernières années pour toutes les régions de l'Alberta. Au total, je calcule 55 indices climatiques différents, nous raconte M. Kienzle. Combien de jours de gel y a-t-il eu? Combien de jours en dessous de moins 20 degrés? Combien de jours au-dessus de 30 degrés? Combien de jours de pluie, de neige? Quelle est la durée d'une saison de croissance?

Stefan Kienzle devant une grande prairie
Le chercheur Stefan Kienzle, de l'Université de Lethbridge en Alberta, s'intéresse aux changements climatiques en lien avec la disponibilité de l'eau. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Grâce à ces données, Stefan Kienzle a créé un programme informatique qui permet de voir l'évolution du climat pour chaque portion de 10 km2 de territoire en Alberta.

En regardant de plus près les données, on peut voir qu'à peu près partout dans le sud de l'Alberta, il y a moins de précipitations de neige l'hiver et que la moyenne des températures y est plus élevée. Ici, les hivers sont plus courts et nous avons une saison de culture d'au moins trois semaines plus longue que par rapport aux années 50, précise le chercheur.

Le problème, selon lui, c'est qu'avec plus de chaleur et une saison plus longue, il y a plus d'évaporation. Il y aura une plus grande perte d'eau vers l'atmosphère et les sols vont s'assécher plus rapidement, amplifiant du coup le problème de manque d'eau, soutient M. Kienzle.

L'hydrologue estime que les changements climatiques apportent une grande variabilité dans les précipitations, ce qui a pour effet de rendre la vie plus difficile aux agriculteurs, qui n'ont pas accès à de l'irrigation.

Brian Otto à genou en train de regarder ses cultures
L'agriculteur Brian Otto observe les dommages que la grêle a faits à ses cultures.  Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Brian Otto en sait quelque chose. La veille de notre rencontre, il a grêlé. Voilà de quoi ajouter au stress. La grêle, on n'en veut pas du tout, c'est destructeur! se désole le fermier, qui ajoute paradoxalement qu'au moins ça peut donner un tout petit peu d'humidité dont les sols ont grandement besoin!

Et il y a un autre problème, selon l'hydrologue, c'est la capacité de rétention de l'eau. Un réservoir normal ne retient que pour deux ans d'eau maximum, précise Stefan Kienzle, en regardant le réservoir St. Mary's qui dessert une grande zone d'irrigation.

Un bassin de rétention d'eau avec les Rocheuses à l'arrière.
Les grands bassins de rétention d'eau servent à fournir le système d'irrigation de l'Alberta. L'eau de ces bassins provient des montagnes Rocheuses. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Si une sécheresse devait durer plusieurs années, il y aurait un sérieux problème d'approvisionnement en eau pour l'irrigation, poursuit le chercheur. L'histoire a déjà démontré à plusieurs reprises que des sécheresses sur plusieurs années peuvent frapper ici. L'Ouest se souvient de la sécheresse de 2001 et 2002 ainsi que de celle des années 1930, beaucoup plus longue et très dévastatrice. Une sécheresse sur plusieurs années est le plus grand danger qui guette les prairies, croit Stefan Kienzle.

« En examinant les tendances des 70 dernières années, avec un taux d'évaporation accru, moins de précipitations et des sols globalement plus secs ainsi qu'un manque de réserves d'eau. C'est un énorme défi de maintenir un approvisionnement adéquat. »

— Une citation de   Stefan Kienzle, professeur, Université de Lethbridge, Alberta
Stefan Kienzle devant un réservoir d'eau.
Le chercheur Stefan Kienzle, de l'Université de Lethbridge, analyse la disponibilité de l'eau dans le sud de l'Alberta en lien avec les changements climatiques. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Le Triangle de Palliser

De 1857 à 1860, le Britannique John Palliser a le mandat d'explorer et d'arpenter les vastes terres de l'Ouest canadien, dans le but évident de préparer le terrain à la colonisation.

L'expédition était la première enquête détaillée et scientifique de toutes les régions entre le lac Supérieur en Ontario et les Rocheuses. Trois ans après la fin de l'expédition, John Palliser présente ses observations au Parlement britannique avec une carte détaillée des régions visitées.

Dans son rapport portant sur la zone du sud des Prairies, de ce qui allait devenir l'Alberta et la Saskatchewan, Palliser remarque qu'il s'agit d'une zone sèche, aride et dépourvue d'arbres. Il en vient à la conclusion que la région est trop inadaptée pour y faire l'agriculture. Par sa forme sur une carte, on nomma ainsi cette zone plus aride le Triangle de Palliser.

Quelques années plus tard, un représentant du gouvernement canadien, John Macoun, y retourne et contredit Palliser. Pour lui, la terre était bonne pour la culture du blé. On encourage alors les immigrants à s'y établir comme fermiers. Le triangle a commencé à être peuplé et à voir l'agriculture s'y développer au début du 20e siècle.

L'expression du Triangle de Palliser est restée dans les mœurs, surtout en raison des sécheresses fréquentes.

Un plan serrée sur une buse d'un système d'arrosage.
Des recherches ont lieu pour améliorer l'économie de l'eau d'arrosage des champs. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Des solutions?
Des solutions?

Mais que faire alors? Construire plus de réservoirs ou agrandir ceux existants pour emmagasiner cette eau qui fond plus rapidement des Rocheuses au printemps à cause des changements climatiques? C'est très coûteux et où pouvons-nous le faire?, lance le chercheur Stefan Kienzle de l'Université de Lethbridge.

Diminuer la consommation de l'eau serait donc une première solution envisageable. S'il a justement profité, il y a trois ans, de l'agrandissement du système d'irrigation en Alberta, l'agriculteur David Bexte est très conscient qu'il a accès à une ressource limitée. Je crois en la conservation. Nous utilisons une ressource disponible, mais sans en abuser. Nous l'utilisons intelligemment, nous dit M. Bexte. C'est pourquoi il dit utiliser toutes les technologies à sa portée qui permettent de réduire l'utilisation d'eau. Par exemple, chaque arroseur est muni d'une buse différente qui distribue une quantité différente d'eau chaque minute, précise M.Bexte.

L'agriculteur David Bexte devant son système d'arrosage.
L'agriculteur David Bexte devant son système d'arrosage Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

L'agriculteur utilise également des sondes qui permettent de mesurer le taux d'humidité du sol. On peut ainsi savoir quelle est la quantité d'eau de pluie, les niveaux d'évapotranspiration, la quantité d'eau que la culture utilise, explique M. Bexte, qui veut s'assurer que les plants ne manquent pas d'eau ou qu'ils n'en reçoivent pas trop.

L'agriculteur est d'avis que toute l'industrie devra continuer à investir dans des technologies novatrices qui permettent de réduire la consommation d'eau. Il pense entre autres à l'irrigation au goutte-à-goutte, qui fournit l'exacte quantité d'eau dont une plante a besoin. Ces systèmes existent, mais pas ici, parce que ce n'est pas encore économiquement viable. Mais ça le sera peut-être un jour, conclut David Bexte.

Un blé plus économe en eau

Depuis des décennies, au laboratoire d'Agriculture Canada de Lethbridge, dans le sud de l'Alberta, on tente de développer des cultures qui peuvent mieux s'adapter à des conditions plus sèches. On s'est longtemps intéressé au triticale, un cultivar issu d'un croisement entre le blé et le seigle. Cette plante a comme avantage d'exiger moins d'eau pour sa croissance, mais la mise en marché ne fonctionne pas.

Ça ne fait pas un pain qui est agréable à manger, donc il n'y a pas de marchés mondiaux, nous dit André Laroche, un chercheur en génétique moléculaire au laboratoire de Lethbridge. Le triticale n'a donc pas trouvé sa place dans les plantations de l'Ouest.

Les projecteurs se tournent donc vers le blé lui-même. Alors que la plante représente environ 40 % de toutes les cultures dans les Prairies, l'idée de développer une variété de blé qui consomme moins d'eau est plus prometteuse. Beaucoup d'études commencent à démontrer des plafonnements sérieux dans la production, dans les rendements du blé, dus à la vitesse des changements climatiques, explique André Laroche.

Les chercheurs s'intéressent à l'édition génomique par la méthode CRISPR-Cas9, ce qui pourrait révolutionner le blé de demain.

Dévoilée en 2012, cette technique est basée sur une enzyme qui agit comme des ciseaux moléculaires qui permettent de faire des mutations sur un gène très spécifique. L'idée est de modifier l'horloge biologique des plants de blé pour qu'ils adaptent leurs demandes en énergie et en eau, explique M. Laroche. Pour l'instant, les recherches au laboratoire de Lethbridge en sont à l'étape de faire ces modifications génétiques et de créer de nouvelles lignées de cultivars.

Par la suite, des essais expérimentaux à différents stress tels que la chaleur et le manque d'eau auront lieu. Les résultats de ces recherches détermineront alors le potentiel de mise en marché.

Vue du lac Diefenbaker.
La Saskatchewan souhaite agrandir l'irrigation provenant du lac Diefenbaker. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Il faut aussi partager la ressource…
Il faut aussi partager la ressource…

Rappelons que l'eau qui dévale les flancs des Rocheuses aboutit dans les rivières, qui elles se jettent dans la rivière Saskatchewan. Cet ensemble hydrographique que l'on appelle le bassin versant de la rivière Saskatchewan couvre la presque totalité de l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba.

Un traité géré par le gouvernement fédéral stipule que l'Alberta, qui reçoit la première l'eau des Rocheuses, doit laisser 50 % de l'écoulement naturel des rivières à la Saskatchewan, qui à son tour doit laisser passer 50 % du débit qu'elle reçoit vers le Manitoba.

C'est un accord très simple, nous dit l'hydrologue John Pomeroy. Mais en pratique, c'est beaucoup plus compliqué, car 50 % de pas grand-chose, ça donne très peu, surtout si vous vous situez en aval, poursuit le chercheur, qui rappelle que durant la sécheresse de 2001, les niveaux d'eau de certaines rivières du sud de l'Alberta étaient tellement bas que les agriculteurs qui utilisent l'irrigation ont dû réduire leur consommation d'eau pour respecter l'entente. C'était un avertissement!, croit John Pomeroy. Pour lui, sans une réaction rapide et une bonne relation entre les gouvernements, les choses auraient pu être pires.

L'Alberta souhaite tout de même augmenter l'irrigation pour son agriculture. Depuis peu, la province a lancé plusieurs travaux de remplacement de canaux d'irrigation qui sont à découvert par de grands tuyaux enfouis dans le sol. Ces travaux pourraient avoir un effet important sur la diminution de la perte d'eau par évaporation, en raison des prévisions d'augmentation des températures durant la saison estivale. L'eau ainsi économisée pourrait un jour servir à agrandir le système d'irrigation.

La Saskatchewan veut aussi étendre son système d'irrigation pour améliorer sa propre production agricole. Un projet de plusieurs milliards de dollars propose d'augmenter substantiellement l'irrigation autour du lac Diefenbaker, situé à même la rivière Saskatchewan Sud, où l'eau provient de l'Alberta.

Pour John Pomeroy, ces projets d'agrandissement de l'irrigation sont risqués. L'eau est une ressource limitée. Si elle nous semble plus abondante en ce moment, c'est en raison de la fonte des glaciers, dit le chercheur. Mais nous devons faire attention et examiner la variabilité des futurs débits des rivières et leur capacité à soutenir tous les usages.

« Déjà des rivières qui n'ont plus de glacier en amont ont des débits parmi les plus bas jamais enregistrés. »

— Une citation de   John Pomeroy, hydrologue, Université de la Saskatchewan
Vue de la rivière Milk.
La rivière Milk, dans le Sud albertain, prend sa source dans les Rocheuses du Montana. L'eau de la rivière doit donc être partagée entre les deux pays. Photo : Benoît Livernoche

Et quand l’eau manque, elle ne s’invente pas…
Et quand l’eau manque, elle ne s’invente pas…

La rivière Milk, dans l'extrême sud de l'Alberta, est un bon exemple des défis de gestion de l'eau. Cette rivière prend sa source dans les Rocheuses du Montana, dans le parc national Glacier, situé tout juste au sud de la frontière canadienne. Elle pénètre en Alberta pour ensuite retourner aux États-Unis.

Le parc Glacier, comme son nom l'indique, compte de nombreux glaciers. Mais en raison des changements climatiques, plusieurs de ces glaciers ont fondu. Une entente entre le Canada et les États-Unis gère le partage de l'eau de la rivière Milk. Les Canadiens ont droit à 25 % du débit de la rivière Milk. Cette eau sert à l'irrigation et à l'approvisionnement en eau de certains villages.

Création de la Commission mixte internationale

Au début du 20e siècle, l'eau de la rivière Milk était convoitée tant par le Canada que par les États-Unis. Des fermiers du Montana ont d'abord commencé à dériver l'eau pour développer l'irrigation. La réponse des Canadiens a été de faire la même chose au nord de la frontière. Ces dérivations sont à l'origine du tout premier conflit d'usage d'eau entre les deux pays.

Ce conflit s'est réglé en 1909 avec la ratification du Traité des eaux limitrophes qui, quelques années plus tard, mènera à la création de la Commission mixte internationale. Cette commission gère depuis toutes les eaux frontalières, tel le bassin de la rivière Milk, mais aussi les bassins des grands cours d'eau comme le fleuve Columbia en Colombie-Britannique, les Grands Lacs ou le fleuve Saint-Laurent.

Au début de juillet 2021, alors que la sécheresse sévit, tous les agriculteurs du nord de la frontière doivent fermer le robinet de l'irrigation, car il n'y a pas assez d'eau dans la rivière pour soutenir tous les usages. Le Canada atteint déjà sa part d'utilisation. C'est la troisième fois en cinq ans que cela arrive.

Couper l'eau si rapidement va diminuer nos récoltes de 25 à 40 %, nous raconte l'agricultrice Elise Walker, que nous rencontrons le jour même où elle doit mettre à l'arrêt tout son système d'arrosage. Nous devons trouver des solutions, nous devons le faire maintenant, poursuit Mme Walker, qui craint que ces pénuries d'eau n'empêchent le développement de sa région.

Elise Walker marche dans un champ.
L'agricultrice Elise Walker, de Milk River, s'inquiète de devoir fermer son système d'arrosage. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Malgré toutes les solutions évoquées, l'hydrologue John Pomeroy est très pessimiste. Pour lui, le cas de la rivière Milk est un indicateur de ce que nous pourrions éventuellement voir ailleurs quand la stabilité hydrique est compromise.

Nous savons maintenant à quoi ressemblent de vraies pénuries d'eau. C'est loin d'être plaisant, souligne John Pomeroy, qui veut rappeler que durant la grande sécheresse des années 30, le sud-ouest de la Saskatchewan a perdu les trois quarts de sa population.

On ne peut pas parler de croissance quand on manque d'eau! Il est même difficile de parler d'adaptation, conclut l'hydrologue Stefan Kienzle.

Le reportage de Benoît Livernoche est diffusé à l'émission La semaine verte le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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