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L’ornithologue optimiste du Havre-de-Victoria

L’ornithologue optimiste du Havre-de-Victoria

Texte et photos : Benoît Livernoche

Publié le 25 janvier 2024

Il y a de ces rencontres qui illuminent une journée. Nous en avons fait une avec un ornithologue à l'optimisme contagieux. La capacité de Jacques Sirois à voir la beauté qui l’entoure est communicative. Se promener avec lui dans le refuge d'oiseaux migrateurs du Havre-de-Victoria, c’est l’occasion d’apprécier cette beauté à chaque détour.

Jacques Sirois sur un bateau navigant à côté du phare des iles Trial, en Colombie-Britannique, en décembre .
Jacques Sirois devant l'île Trial, à Victoria. Malgré son optimisme, il s'inquiète de l'état de l'océan et de l'impact sur les oiseaux marins.  Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

« Ce qui m'anime, c'est de voir de la beauté dans les milieux naturels. À tous les jours, je vois de belles choses. Tous les jours. C'est étonnant! »

Le soleil se lève à peine, en ce matin de décembre, que Jacques Sirois est là avec d'autres ornithologues. On le retrouve à Cattle Point, une pointe rocheuse située à Oak Bay, tout juste à l'est de la ville de Victoria.

Ce lieu offre un panorama unique sur le détroit Juan de Fuca, qui sépare le continent de l'île de Vancouver. Il y a aussi la vue sur le mont Baker, un grand volcan situé dans l'État de Washington voisin, de l'autre côté du détroit.

Les touristes viennent ici particulièrement pour voir cette majestueuse montagne, dit l’ornithologue, qui ne cesse qui ne cesse de scruter l'horizon avec ses jumelles. Aujourd'hui, le temps est très clair, la visibilité est parfaite.

Une ville côtière en premier plan, avec le mont Baker au coucher du soleil, en décembre 2023.
Par temps clair, le mont Baker, situé dans l'État de Washington, est bien visible depuis Victoria. Photo : Benoît Livernoche

Jacques Sirois se rend souvent à Cattle Point, surtout parce que c'est un lieu idéal pour observer les oiseaux marins sur la côte. Ici, tous connaissent son affabilité.

On voit un arlequin plongeur, dit-il aux autres naturalistes sur place. L’arlequin plongeur, il est très commun, mais c'est typique, et surtout il est très coloré, très beau, s'émerveille celui qui a déjà été guide sur des navires de croisières en Arctique et même en Antarctique.

Jacques Sirois aime rappeler qu'il ne participe pas à ce qu'il appelle la course aux oiseaux, une référence à ces ornithologues pressés de publier leur liste d'oiseaux observés et photographiés. Il croit plutôt à une observation profonde et surtout contemplative.

Il y a là-bas un guillemot à cou blanc, s’exclame-t-il. Ses compagnons pointent tout de suite leurs téléobjectifs vers le large. Comme le guillemot à cou blanc se tient loin des côtes, il est difficile de le voir à l'œil nu. Cet oiseau est typique, ici, durant les mois d'hiver, note Jacques Sirois.

Longtemps, l'homme originaire de la région de Québec, a travaillé comme biologiste pour le Service canadien de la faune, à quelques endroits au pays. Dans la région de Victoria, qu’il a adoptée il y a une quinzaine d’années, il a rapidement découvert un trésor en milieu urbain : le refuge d'oiseaux migrateurs du Havre-de-Victoria. C'est un véritable havre naturel en ville, dit-il.

Il est aujourd’hui le président de l'association des Amis du refuge et travaille bénévolement à faire connaître ce lieu et à en assurer la pérennité.

Depuis 15 ans, je regarde la région dans tous ses détails, sur les rives et en mer. Je retourne au même endroit, semaine après semaine et sans jamais me lasser de ce que je vois. Il y a toujours une surprise, affirme-t-il.

« Moi, je suis un optimiste de façon naturelle. Ça fait 60 ans que je m'intéresse à la nature. »

— Une citation de   Jacques Sirois

Un refuge unique sur la côte du Pacifique

Le refuge des oiseaux migrateurs du Havre-de-Victoria a célébré ses 100 ans l'automne dernier, ce qui en fait le plus ancien de toute la côte Pacifique.

Il y a un siècle, le refuge voyait le jour dans le cadre d’une mouvance nord-américaine d'établissements de lieux de conservation, alors que des espèces d'oiseaux disparaissaient rapidement.

Carte indiquant l'emplacement du refuge du Havre-de-Victoria, à la pointe sud de l'île de Vancouver.
Le refuge se situe à la pointe sud de l'île de Vancouver. Photo : Radio-Canada

En 1914, Martha, la dernière tourte sur Terre, est morte dans le zoo de Cincinnati, relate Jacques Sirois, qui a gardé chaque détail en mémoire.

« Il y avait plus de 3 milliards de tourtes, des nuages qui faisaient des kilomètres de long. Comment est ce possible qu'on soit parvenu à tuer toutes les tourtes? Et tout ça s'est arrêté en 1914. »

— Une citation de   Jacques Sirois

La disparition de la dernière tourte a contribué à la signature entre le Canada et les États-Unis de la Convention sur les oiseaux migrateurs, en 1916. Une loi fédérale a suivi l'année suivante. Puis le premier refuge d'oiseaux migrateurs au Canada a vu le jour, en 1919, sur l'île Bonaventure, au Québec.

Les fous de Bassan, à l'île Bonaventure, en 1919, il n'en restait pas beaucoup! insiste Jacques Sirois.

À la même époque, dans les régions de Victoria, de Vancouver et de Seattle, la préoccupation principale en matière de conservation était le déclin rapide des populations de bernaches cravants. La bernache cravant était l'oie de Noël, raconte l'ornithologue. Les gens la chassaient pour sa viande de haute qualité. Elle était très prisée.

Ainsi, en 1923, la côte de Victoria a inauguré son refuge d'oiseaux migrateurs à son tour, dans le but de contrôler la chasse à la bernache cravant.

« Cent ans plus tard, aujourd'hui, le refuge fait 30 kilomètres de long, le long des rives à Victoria. C'est maintenant devenu un endroit où on apprécie la nature. »

— Une citation de   Jacques Sirois
Un banc d'oiseaux sur des rochers dans l'océan, à Cattle Point, une pointe rocheuse située à Oak Bay, tout juste à l'est de la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, en décembre 2023.

Prendre la mer permet de bien saisir l'ampleur et toute la beauté du refuge d'oiseaux migrateurs du Havre-de-Victoria. Une balade en bateau ou en kayak donne accès à un groupe d'îles qui comportent de nombreux lieux de repos d'oiseaux migrateurs.

L'hiver est d'ailleurs un excellent moment pour les observer, car ils viennent se reposer dans les eaux de la région. Contrairement à ailleurs au pays, le climat y est favorable en hiver.

Les canards, les bruants nous arrivent de l'intérieur de la Colombie-Britannique. Il y a des grèbes qui nous arrivent des Prairies canadiennes. On a des bécasseaux et des tournepierres qui nous arrivent de l'Arctique, de l'Alaska, et qui viennent passer l'hiver ici, explique Jacques Sirois.

Un de lieux emblématiques du refuge est l'île Trial, dont le phare fait face à la capitale britanno-colombienne. On raconte que, à l'époque de la colonisation britannique, l'île Trial était un lieu où on testait des navires avant de leur faire prendre le large, d'où son nom.

Aujourd'hui, l'île est un paradis pour les oiseaux, mais aussi un lieu de conservation pour les plantes rares.

Un phare sur des rochers des îles Trial, au sud de l’île de Vancouver, à la rencontre des détroits de Juan de Fuca et de Haro, en Colombie-Britannique, en décembre 2023.

La balade en bateau pour se rendre à l'île Trial nous permet de voir de nombreux oiseaux marins, dont différents cormorans et de nombreux phoques communs du Pacifique ou des otaries de Steller. Mais ce qui étonne Jacques, c'est l'absence complète d'activités autour de l'île Trial.

C'est incroyable, il n'y a presque pas d'oiseaux! Souvent, on a des centaines de goélands qui se nourrissent ici et ils viennent pêcher du hareng. Et aujourd'hui, c'est très tranquille. Alors ça m'indique qu'il n'y a pas beaucoup de harengs ici.

L'ornithologue rappelle que, comme celui de l'Atlantique, le hareng du Pacifique a été surpêché pendant plusieurs décennies.

« La nature, globalement, est en train de reculer. Ça, c'est un fait. Les populations d'oiseaux au Canada de façon générale, sont en train de reculer. »

— Une citation de   Jacques Sirois
Portrait de Jacques Sirois avec l'océan en arrière plan, à Cattle Point, une pointe rocheuse située à Oak Bay, tout juste à l'est de la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, en décembre 2023.
La passion de Jacques Sirois pour les oiseaux se voit dans son regard optimiste. Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

L'optimisme de Jacques Sirois ne l'empêche pas de voir la réalité en face et de dresser des constats inquiétants. Il cite en exemple le dôme de chaleur qui a sévi en Colombie-Britannique, en 2021. Cela a eu des impacts incroyables sur nos plages et sur nos rives, mentionne-t-il.

Selon des chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, cette vague de chaleur exceptionnelle a entraîné la mort d'au moins un milliard d'organismes vivants le long des côtes.

Ils ont littéralement cuit sur la plage, explique Jacques Sirois. Sur nos îles, ici, on a des plantes qui sont adaptées à la sécheresse et au gros soleil. Et certaines de ces plantes-là n'ont pas survécu.

Des phoques sur un rocher, à Cattle Point, une pointe rocheuse située à Oak Bay, tout juste à l'est de la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, en décembre 2023.

Garder espoir

Malgré le réchauffement climatique et les désastres naturels qu'ils provoquent, Jacques Sirois continue de croire que de nombreux gestes peuvent changer la donne.

Il y a beaucoup de nouvelles difficiles, mais il y a aussi beaucoup de nouvelles positives, se réjouit-il. On a arrêté de chasser la baleine à bosse dans les années 1960 et, maintenant, on en voit régulièrement.

Jacques Sirois mentionne également les phoques et les lions de mer, dont la chasse s’est arrêtée dans les années 1970. Ils sont maintenant de retour. On les voit en ville!

Quand on agit sur elle, la nature répond rapidement.

Pour Jacques Sirois, il est possible et même bénéfique de cohabiter avec la nature en ville.

Ça fait 15 ans que je suis impliqué comme bénévole ici, dans des projets de restauration. On peut faire un effort, on peut améliorer et aider la nature. Mais il faut entretenir, c'est un effort qui doit être soutenu.

Par-dessus tout, la nature nous rend bien plus service que l’inverse, fait valoir Jacques Sirois.

La nature est un ingrédient magique qui améliore la qualité de vie en ville, soutient-il. La nature rend les gens plus heureux.

« On ne fait pas face à des désastres quotidiens, on fait face à des manifestations de beauté quotidiennes, quand on prend le temps de regarder. »

— Une citation de   Jacques Sirois
L'océan coloré par le coucher de soleil avec trois canards,  à Cattle Point, une pointe rocheuse située à Oak Bay, tout juste à l'est de la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, en décembre 2023.
Le reportage de Benoît Livernoche, présenté à « Le semaine verte ». Photo : Radio-Canada

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