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Quand le Soleil gronde

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Quand le Soleil gronde

Un texte de Camille Vernet

Publié le 19 avril 2024

Derrière la beauté envoûtante des aurores boréales se cache une menace. Les tempêtes solaires qui les déclenchent peuvent être un danger pour la Terre.

Tous les 11 ans environ, ces tempêtes s'intensifient. En 2024, le Soleil entre dans cette période de turbulence. Les conséquences sont imprévisibles, rares et possiblement dramatiques : ces tempêtes peuvent mener à la perte de toutes les communications, une catastrophe dans notre monde désormais ultraconnecté.

Le Canada est particulièrement à risque, mais il se trouve également dans une position privilégiée pour surveiller notre étoile. D’est en ouest, des chercheurs unissent leurs efforts pour percer les mystères du Soleil.

Une étonnante exposition nocturne d'aurores boréales colorées au Grand Lac des Esclaves, aux Territoires du Nord-Ouest.

La météo de l’espace

Robyn Fiori n'aime pas être sous les projecteurs. Son métier, méconnu du public, a pourtant une influence sur la sécurité de tous. Elle est météorologue de l’espace.

Je ne pense pas que les gens réalisent ce que le Soleil peut faire à la Terre, dit la physicienne de formation, le visage baigné d'une douce lumière. Il est difficile d'imaginer les champs magnétiques spectaculaires, des éruptions solaires et des jets de particules.

Au Centre canadien de météo spatiale, ce sont ces forces invisibles qu’elle observe sur ses multiples écrans. Le Soleil y est surveillé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Car, pour se protéger des tempêtes solaires, il faut les prévoir.

Lorsque nous parlons de météo terrestre, nous parlons de quelque chose qui se produit généralement dans une région très localisée. Mais la météo spatiale a des répercussions à l’échelle mondiale, explique Robyn Fiori.

Une tempête solaire peut endommager les satellites, perturber l’Internet, couper les ondes radio et désorienter les avions et les drones, mettant en péril nos systèmes de communication et de navigation.

Comment se forment les tempêtes?

Ces intempéries sont le résultat d’éruptions à la surface du Soleil.

De façon générale, le Soleil est plutôt calme. Il émet du plasma, un gaz composé d'électrons et de protons. C’est ce qu’on appelle le vent solaire.

Le Soleil peut toutefois rugir. Des bulles de plasma se forment alors à sa surface et étirent son champ magnétique comme un élastique qui finit par briser.

Le vent solaire se transforme alors en tempête : des millions de tonnes de plasma sont éjectés dans l’environnement spatial.

La Terre peut être touchée entre un et trois jours après une éruption, dit Robyn Fiori. Lorsque la tempête atteint le champ magnétique terrestre, elle provoque des courants électriques dans la très haute atmosphère et des orages magnétiques sur la Terre.

Une image spatiale du soleil avec des projections entraînant une tempête solaire, le 2 octobre 2014.

La tempête solaire de 1989 : le Québec dans le noir

Le 13 mars 1989, le Québec a été privé d'électricité pendant neuf heures.

Ça a été le plus grand orage magnétique du siècle dernier, précise David Boteler, chercheur au Centre canadien de météo spatiale.

Cet enquêteur de l’espace scrute les intempéries marquantes de l’histoire et leurs effets sur les infrastructures terrestres.

Les analyses de la tempête de 1989 révèlent qu’une première éruption a heurté le champ magnétique de la Terre et que, deux jours plus tard, tout a basculé.

Capture d'écran d'un téléjournal d'archive avec une image de soleil avec une tempête solaire, de 1989.
Le 13 mars 1989, 6 millions de personnes perdaient le courant en raison de tempêtes solaires.  Photo : Radio-Canada

Nous avons trouvé des preuves qu'il y a eu une deuxième éruption [en 1989]. C’est elle qui a projeté vers la Terre tout le plasma piégé dans le champ magnétique. Le réseau d'Hydro-Québec s'est effondré quelques minutes seulement après son arrivée, explique David Boteler.

Imaginez l’impact de nos jours. Voitures autonomes, navigation aérienne, système bancaire… Nous dépendons de plus en plus des technologies spatiales dans notre vie quotidienne, ce qui nous rend encore plus vulnérables.

Les chercheurs Robyn Fiori et David Boteler assis à une table, en train de discuter, au Centre canadien de météo spatiale, près de Saskatoon, en février 2024.
Les chercheurs Robyn Fiori et David Boteler au Centre canadien de météo spatiale discutent des tempêtes solaires du passé qu’ils pourraient simuler avec de nouveaux outils. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Les particules chargées (protons et électrons) atteignent des énergies élevées et vont si vite qu'elles peuvent traverser les engins spatiaux et griller les composants électroniques à l'intérieur. Des satellites ont été perdus de cette manière, explique David Boteler.

Ces courants électriques peuvent même devenir visibles sur Terre, dessinant de magnifiques rubans colorés dans le ciel.

Les chercheurs appellent ça la face cachée des aurores.

La face cachée des aurores

Plus le Soleil est actif, plus les chances de voir des aurores polaires augmentent, des aurores boréales dans le Nord et des aurores australes dans le Sud.

Sous le pôle nord magnétique, le Canada est l'un des pays les mieux placés pour observer ces apparitions lumineuses.

« C'est chez nous que l'on trouve le plus d'aurores boréales au monde. Nous avons donc beaucoup de chance. Mais cela signifie aussi que nous avons le plus de risques. »

— Une citation de   Kathryn McWilliams, Université de la Saskatchewan
Kathryn McWilliams dans un champ enneigé, entourée d'antennes, près de Saskatoon, en février 2024.

Dans un champ de Saskatoon, Kathryn McWilliams est debout, entourée d’une série d'antennes.

Nous les avons construits à la main. C'était ma première aventure dans ce domaine et j'ai vraiment adoré. J'ai donc continué à travailler. Maintenant, je suis responsable de tout cela, dit la chercheuse.

Ces antennes ont été construites dans les années 1990. Sur la base de l’une d’elles, une empreinte est incrustée dans le béton. C’est celle de la main de Kathryn McWilliams.

Les antennes envoient un signal radio dans la très haute atmosphère. Lorsqu’il revient, l’équipe de SuperDarn mesure le changement dans le signal. Photo : Cory Herperger

Kathryn McWilliams est à la tête de SuperDarn, un réseau d’antennes installées dans 10 pays.

Ces antennes fonctionnent comme un radar de police. Nous envoyons un signal dans l'atmosphère jusqu'à environ 250 kilomètres d'altitude et nous mesurons le mouvement des particules chargées, explique-t-elle.

Ses recherches révèlent que le plasma piégé dans la très haute atmosphère est animé de courants.

C'est la question ultime : quand est-ce que les aurores vont se produire? Pour l'instant, on n'a pas la réponse... C'est pourquoi toute la planète est investie dans cette tâche.

À des centaines de kilomètres à l’ouest, au cœur de la vallée désertique de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, un observatoire joue un rôle unique au monde dans cette quête de réponse.

Une impressionnante antenne, À l’Observatoire fédéral de Radioastrophysique près de Penticton, en février 2024.

Écouter le Soleil

Si les observatoires canadiens ont les yeux rivés sur le Soleil, à l’Observatoire fédéral de radioastrophysique près de Penticton, on l’écoute.

Une série de paraboles enregistre les ondes radio.

C'est un endroit qui est unique au Canada. Il y a juste un observatoire de radioastronomie au Canada et il est en Colombie-Britannique, dit Benoît Robert, technologue en électronique à l'Observatoire fédéral de radioastrophysique.

Benoît Robert en bleu de travail, casque sur la tête, se tient devant un radiotélescope de 26 mètres, à l’Observatoire fédéral de Radioastrophysique près de Penticton, en février 2024.
Benoît Robert se tient devant un radiotélescope de 26 mètres qui enregistre les ondes radio provenant de l’Univers à l'Observatoire fédéral de radioastrophysique, qui fait partie du Centre national de recherche du Canada. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Ces radiotélescopes traquent le Soleil du matin au soir.

C'est comme un stéthoscope solaire, qui prend le pouls ou le battement de cœur du Soleil, explique-t-il.

Les ondes radio émises sont un miroir immédiat de l’activité solaire.

L'impact du Soleil sur la Terre est beaucoup plus important que pour tout autre objet dans l'univers. Alors, lorsque le Soleil a le hoquet, nous voulons le savoir, explique Andrew Gray, le directeur de la radioastronomie à l'Observatoire fédéral de radioastrophysique.

Les scientifiques canadiens ont commencé à enregistrer les données provenant du Soleil en 1946. Les premières observations solaires ont été menées avec d'anciens équipements radar de la Seconde Guerre mondiale, utilisant la même fréquence que celle que nous utilisons toujours aujourd'hui, raconte le scientifique.

Nous sommes le seul observatoire au monde à mesurer cette valeur. Le fait de disposer de 70 ans de données sans interruption est très utile, explique Andrew Gray.

Ces données sont utilisées par des centres de météo spatiale et de recherche dans le monde entier, de la NASA à l’Agence spatiale européenne.

Tous tentent de mieux comprendre le comportement du Soleil afin de faire des prévisions à plus long terme.

Le climat spatial : un sujet chaud

Paul Charbonneau est titulaire de la chaire de Recherche du Canada en physique solaire à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur le climat spatial. On parle typiquement de prédiction d’un an et plus. Et ça, c'est effectivement mon objectif, le genre de travaux que je fais depuis plus de 30 ans.

Son travail suscite l'intérêt des agences spatiales, notamment en ce qui concerne les voyages interplanétaires. En effet, loin de la protection du champ magnétique terrestre, les astronautes sont les plus exposés aux radiations dangereuses liées aux aléas de la météo spatiale.

La capacité à prédire ces éruptions solaires plusieurs années à l’avance est donc importante pour garantir la sécurité des missions spatiales.

Une éclipse solaire totale est observée à Dallas, au Texas, le lundi 8 avril 2024.
Des accumulations de plasma sont visibles sur cette photo de la NASA de l'éclipse solaire du 8 avril 2024. Elles sont maintenues en lévitation dans la haute atmosphère solaire par le champ magnétique, explique Paul Charbonneau. Photo : NASA/Keegan Barber

Mais, est-ce une mission impossible?

Impossible, non, mais difficile. Ce n’est pas tout à fait la même chose , dit Paul Charbonneau avec conviction. Si vous me demandez de prédire, par exemple, qu'il va y avoir une éruption le 31 mars 2028 à telle heure, même avec le plus gros ordinateur de la planète, je ne suis pas capable de faire ça. Il y a trop de choses qu'on ne connaît pas.

Ce qu’on sait, c’est que le Soleil suit un cycle. Son activité atteint un maximum tous les 11 ans environ.

En 2024, le Soleil s’active

Bob Leamon est un expert de l’humeur du Soleil, à la NASA, au Goddard Space Flight Center. Je m’intéresse aux champs magnétiques.

Le cycle solaire est rythmé par un événement : le nord et le sud magnétiques permutent.

L'inversement des pôles magnétiques est l'action clé, et c'est ce qui provoque le changement dans l’activité solaire. C'est presque comme une fièvre ou une maladie; les éruptions solaires sont des symptômes, et le champ magnétique est le virus.

Nous sommes actuellement dans cette période de montée en puissance, où la probabilité que des éruptions se produisent augmente. Cela va se produire vers la fin de cette année, affirme Bob Leamon.

Le 9 février 2024, la NASA a observé une éruption sur le côté du Soleil. Photo : NASA’s Scientific Visualization Studio

Selon les modélisations de Bob Leamon, ce cycle risque d'être plus actif que les précédents. Je m'attends à voir plus de feux d'artifice.

Robyn Fiori confirme que le cycle dans lequel nous sommes semble plus actif que les précédents. L'impact sur les infrastructures sera donc plus important, précise-t-elle.

Au mois de février, la météorologue de l’espace a observé plusieurs éruptions solaires intenses. Pendant une semaine, nous avons eu des éruptions presque tous les jours. Nous avons eu de la chance, car elles venaient de l'arrière du Soleil, alors elles ne sont pas dirigées vers la Terre.

Portrait de Kathryn McWilliams, près de Saskatoon, en février 2024.
Kathryn McWilliams, chercheuse à l’Université de la Saskatchewan, tente de prédire les aurores boréales.  Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

À l’Université de la Saskatchewan, l’équipe de Kathryn McWilliams a également remarqué ces perturbations. Le 9 février, une tempête a bloqué tous les signaux des antennes.

Elle a fortement perturbé les communications radio. Ce type d'événement est très important, car, dans le nord du Canada, les gens sont éloignés les uns des autres. Ils comptent donc beaucoup sur les communications radio, explique Kathryn McWilliams.

Comprendre les risques et adapter nos systèmes permet d’assurer la protection de nos systèmes de communications, ajoute-t-elle. Un défi de taille.

Quand on essaye de comprendre comment les aurores sont créées, notre laboratoire est de la taille du système solaire. Aucun groupe, aucun pays ne peut donc comprendre l'ensemble du processus seul, soutient Kathryn McWilliams.

Il reste encore bien des mystères à révéler afin de pouvoir prévoir les humeurs de cet astre essentiel à la vie sur Terre.

Jour après jour, les yeux et les oreilles rivés vers le ciel, ces scientifiques continuent cette quête immense.

Les images du Soleil ont été prise par la NASA.

Le reportage de Camille Vernet et de Christine Campestre présenté à l'émission «Découverte» Photo : Découverte

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