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Opération sauvetage de maisons pour les Premières Nations

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Opération sauvetage de maisons pour les Premières Nations

Texte : Ismaël Houdassine

Publié le 19 avril 2024

De véritables opérations de sauvetage de maisons se multiplient dans la grande région métropolitaine de Vancouver pour combler les besoins en matière de logement, notamment chez les Premières Nations côtières, qui voient là l’occasion de fournir à leur population des habitations abordables.

Ce n’est un secret pour personne. La forte spéculation immobilière a fait de l’édification de nouveaux logements au Grand Vancouver une affaire de gros sous. La métropole et ses banlieues voient pousser un peu partout les chantiers de construction comme des champignons. Alors quand il est question de remplacer une maison, même en bon état, par des tours d’habitation flambant neuves, les promoteurs n’hésitent pas longtemps avant de démolir.

Des entreprises vancouvéroises tentent toutefois de sauver des bâtiments abandonnés de la ville pour les relocaliser dans les communautés autochtones qui souffrent d’une pénurie de nouveaux logements. C’est notamment le cas de Renewal Development, qui se spécialise depuis quatre ans dans des méthodes de récupération de maisons en organisant leur déplacement.

Des ouvriers travaillent dans un terrain de construction.
Des ouvriers observent les fondations d'une maison sur le point d'être transportée vers un nouvel emplacement au sein d’une Première Nation. Photo : Renewal Development

Avant d'envisager la démolition, les promoteurs et les constructeurs ont le choix entre trois options, décrit en entrevue Glyn Lewis, fondateur de Renewal Development. Ils peuvent construire autour de la structure, la déplacer et la réutiliser, ou la déconstruire pour récupérer des matériaux.

Laquelle de ces options choisissent-ils généralement? Eh bien, la démolition, lâche d’un air dépité M. Lewis. C’est le choix le plus facile parce qu’il leur paraît le plus simple et le plus rapide, souligne-t-il, précisant que, dans la région métropolitaine de Vancouver, près de 2700 maisons unifamiliales bien entretenues finissent leur vie dans des décharges, soit environ sept par jour.

Une personne se tient debout devant une maison.
Glyn Lewis est le fondateur de l'entreprise spécialisée en déménagement de maisons Renewal Development. Photo : Renewal Development

Mais pour le chef d’entreprise, ce n’est pas responsable, ni socialement ni d’un point de vue environnemental. Chaque maison de bois démolie libère dans l’atmosphère environ 65 tonnes de carbone et crée environ 100 000 kg de résidus de matériaux. Les municipalités du Grand Vancouver affirment d’ailleurs qu'un tiers de tous les déchets contenus dans les décharges proviennent du secteur de la construction et de la démolition.

Ce qui est le plus choquant, c’est qu’on estime que plus de 700 de ces maisons et bâtiments détruits étaient en bon ou en excellent état et auraient donc mérité d'être déplacés et réutilisés, lance-t-il, la voix amère.

« Vancouver est devenue l'une des capitales mondiales de la mise en ruine. Des milliers de maisons sont démolies chaque année pour faire place à de nouveaux projets de développements. »

— Une citation de   Glyn Lewis, fondateur de Renewal Development

Démolir devrait être la dernière option
Démolir devrait être la dernière option

Le phénomène est favorisé par une situation particulière à Vancouver. La ville doit composer avec la densité d’une population en pleine croissance dans une région où les terrains habitables sont limités par des réalités géographiques. Les montagnes, l’océan Pacifique et la frontière américaine à proximité de la ville restreignent l’étalement urbain. Pour construire, beaucoup pensent qu’il faut détruire, explique-t-il.

La démolition mécanique devrait être la dernière option, croît le dirigeant. Au lieu de finir en tas de décombres, ces maisons peuvent s’avérer des bouées de sauvetage pour les personnes qui ont le besoin urgent de trouver un toit. Il souhaite un changement de paradigme de la part des promoteurs immobiliers, mais aussi des autorités municipales, qui délivrent, selon lui, les permis de démolition comme des petits pains chauds.

Il existe ici une mentalité généralisée en faveur de la destruction à tout prix. Les gens ne prennent même plus la peine de réfléchir un peu plus pour voir s'il existe une meilleure solution, alors qu’il y a un manque de logements pour de nombreuses familles de la Colombie-Britannique. Cette mentalité n’est franchement plus acceptable.

Un chantier de démolition.
Chaque année, plus de 2700 maisons et immeubles unifamiliaux sont démolis dans la région métropolitaine de Vancouver. Photo : Renewal Development

Et d’autres voies sont possibles, plaide M. Lewis. Il prend en exemple une de ses dernières belles prises, une structure en bois de 1900 pieds carrés trouvée presque par hasard en arpentant le pittoresque quartier de Kitsilano, au sud-ouest de Vancouver : la Little Yellow School House.

Cela aurait été une tragédie de voir cette demeure historique détruite au bulldozer. La maison avait été rénovée. Elle était en parfait état avec, en prime, de magnifiques poutres anciennes.

La bâtisse centenaire surnommée affectueusement la petite école jaune se dressait à l’angle des rues Cornwall et Maple depuis 1912, jusqu’à ce que le conseil scolaire de Vancouver prévoie sa mise à terre pour reconstruire un nouvel établissement plus moderne.

Une maison transportée sur un camion.
Le transport de maisons se fait de jour comme de nuit. Photo : Renewal Development

Elle a pu être sauvée in extremis grâce à l’intervention de la nation Squamish. L’entreprise a supervisé le déplacement mais, sans l’intérêt de la Première Nation, nous n'aurions pas pu sauver ce bâtiment emblématique, raconte M. Lewis, qui rappelle que le quartier Kitsilano où se trouvait l’école primaire abritait autrefois un village squamish appelé Senakw.

Une nouvelle vie pour les bâtiments
Une nouvelle vie pour les bâtiments

La structure historique de deux étages a été chargée en août 2023 sur une barge à Kits Beach et a traversé Burrard Inlet jusqu'à la rive nord. Elle a ensuite été transportée par camion jusqu'à son adresse permanente. Elle trône dorénavant sur un terrain situé au cœur de la communauté autochtone côtière, à North Vancouver.

L’opération s’est faite en collaboration avec Nickel Bros, une société spécialisée dans le soulèvement des fondations.

Son transport a coûté environ 150 000 $. De cette somme, 80 000 $ proviennent du Conseil scolaire de Vancouver, qui a réaffecté le budget réservé à la démolition de la petite école jaune pour le remettre à la nation Squamish afin de l'aider à réduire le coût du projet, explique Glyn Lewis.

« Dans un contexte d’inflation galopante et de crise du logement, déplacer une maison complète par barge vers une communauté autochtone isolée peut s’avérer 30 à 70 % moins cher que de construire une nouvelle maison à partir de zéro. »

— Une citation de   Glyn Lewis, fondateur de Renewal Development

Les Squamish (Sḵwx̱wú7mesh) ont conservé la vocation originelle du bâtiment : il accueille maintenant un centre éducatif dans lequel les enfants de la communauté apprennent la langue autochtone, la culture et les traditions ancestrales. L’école désormais baptisée Ta Tsiptspí7lhḵn, ce qui signifie nid linguistique, jouit d’un nouveau souffle.

Le fils de ma sœur fait partie des premiers diplômés de l'école. Les futurs enfants de ma nation seront totalement immergés dans l’apprentissage de la langue ancestrale, se réjouit Marissa Nahanee (Míkw'achi7m), membre de la nation Squamish, mais qui agit également comme responsable des relations avec les communautés chez Renewal Development.

Elle espère que la bâtisse en bois jaune jouera un rôle crucial dans la transmission des savoirs et la préservation de l’idiome squamish. [C'est] très important dans notre histoire de pouvoir trouver un foyer qui préserve notre héritage culturel. C'est une façon pour nous de nous réapproprier notre histoire.

« Le rôle de la maison est d’accueillir les bébés et les tout-petits afin qu’ils baignent dans notre langue et apprennent nos façons d'être, et ce, dès la naissance. »

— Une citation de   Marissa Nahanee (Míkw'achi7m), membre de la nation Squamish
L'intérieur d'un centre éducatif pour enfants.
La petite maison jaune en bois a été reconvertie par la nation Squamish en centre culturel pour enfants.  Photo : Renewal Development

Depuis l’épisode de la petite maison jaune, Renewal Development et Nickel Bros assurent être en contact avec d’autres Premières Nations de la région, en particulier la communauté shíshálh. Cette dernière a récemment signé une entente afin de recevoir 10 maisons de Port Moody, dans la région métropolitaine de Vancouver, jugées en bon état de conservation mais destinées à la démolition.

Trois premières maisons nous ont déjà été livrées par barge au début du mois d’avril dans notre territoire, indique en entrevue Lenora Joe, cheffe de la Première Nation Shíshálh, à environ 53 kilomètres au nord-ouest de la métropole. Notre principal objectif est de fournir rapidement de nouvelles demeures abordables et durables pour notre population vivant sur nos terres.

Des maisons installées sur un bateau qui navigue près des côtes.
Au printemps 2023, Renewal Development a rencontré les leaders de la nation Shíshálh pour leur présenter la possibilité de recevoir des maisons sauvées de la démolition. La communauté autochtone a signé un accord pour acquérir les dix maisons d’ici l'hiver 2024. Photo : Renewal Development

Un voyage sur l’eau beaucoup moins dispendieux
Un voyage sur l’eau beaucoup moins dispendieux

Si la compagnie favorise avant tout le transport de maisons par barge, c’est qu’il est beaucoup plus rapide et plus facile de naviguer sur l’eau que de circuler par voie routière, fait valoir de son côté M. Lewis. De nombreuses Premières Nations avec lesquelles nous avons établi des relations possèdent des terres très proches des côtes, ce qui simplifie le voyage et la livraison.

L’entente avec la nation Shíshálh est sans doute le plus grand projet de remise en état de maisons jamais réalisé dans l'histoire de la Colombie-Britannique, ajoute le fondateur de Renewal Development. Rien de cette envergure n'a été fait auparavant.

Une personne debout devant un micro.
La cheffe Lenora Joe considère le sauvetage des maisons comme une forme d’habitation durable permettant d’offrir aux Premières Nations des pistes de solutions contre la pénurie de logements. Photo : Renewal Development

Et il y a urgence. Les besoins en ce qui concerne le logement sont criants, admet la cheffe Joe, qui a fait de l’accès à un toit une priorité absolue pour les membres de la communauté autochtone. En plus d’un refuge d’urgence pour sans-abri où vivent des familles, de nombreux foyers sont surpeuplés.

Nous avons 200 personnes de la nation sur notre liste d’attente de logements, et plus de 200 autres vivant en dehors de la communauté souhaitent déménager, mais nous n'avons présentement pas assez d'espace ni de logements pour les héberger, avance-t-elle.

Les différentes étapes de transport des maisons par camion et par bateau entre Port Moody et la communauté de Shíshálh, en Colombie-Britannique.
Les différentes étapes de transport des maisons par camion et par bateau entre Port Moody et la communauté de Shíshálh, en Colombie-Britannique.  Photo : Datawrapper

Le temps est un facteur essentiel, résume-t-elle. Les maisons transportées sur l’eau de Port Moody à Porpoise Bay sont en train d’être rénovées et seront mises à la disposition des résidents de la Première Nation dès l’automne prochain. Les vieilles maisons sont en général très bien faites, avec de bonnes ossatures et des fondations solides, si on les compare aux maisons que nous sommes capables de construire aujourd'hui avec le même montant d'argent, dit la cheffe.

« En se référant au marché, la construction nous coûterait 450 000 $ par maison, mais à l’aide de ce projet de logements renouvelables et aux subventions gouvernementales, on espère réduire le coût de moitié à environ 200 000 $ par maison. »

— Une citation de   Lenora Joe, cheffe de la Première Nation Shíshálh

La Première Nation tente aussi d’obtenir du financement afin de construire des appartements secondaires au sous-sol des maisons, ce qui permettrait par exemple l’installation de deux familles. Trois personnes pourraient vivre au rez-de-chaussée, tandis que les grands-parents ou d’autres membres proches pourraient s’installer au sous-sol. Chez nous, il est important de ne pas séparer les familles.

La cheffe a conscience que le transport des maisons à lui seul ne sera pas une solution à la crise que traverse la nation Shíshálh. Elle voit toutefois cette étape comme la première phase d’un projet plus ambitieux pour la construction d’une série de différentes structures d’habitation.

Je suis convaincue que c’est en combinant plusieurs initiatives que l’on peut trouver des solutions à nos problèmes. Avec le transport des maisons jusqu’à notre territoire, nous faisons des économies importantes qui nous permettront de construire le double du nombre de logements.

Bref, résoudre la pénurie de logements se fera une barge à la fois.

Un document réalisé par Radio-Canada Espaces autochtones

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