HOMÉLIE DU 28 MAI 2006
Ascension

SANCTUAIRE MARIE-REINE-DES-COEURS
Montréal (Québec)

Président de l'assemblée:
M. le cardinal Jean-Claude Turcotte

Actes (1,1-11)
Saint Marc (16, 15-20)

Chers confrères dans l'épiscopat,
Pères et Frères montfortains,
Filles de la Sagesse et Frères de Saint-Gabriel,
Associés laïcs des trois communautés,
Et vous tous, frères et soeurs dans la foi,

La fête qui souligne les 300 ans de fondation des Montfortains a lieu le jour de la fête de l'Ascension du Seigneur. Ces deux fêtes s'éclairent mutuellement. D'une part, l'aventure montfortaine se situe dans le prolongement de l'aventure de l'Église; d'autre part, la vie et la mission de l'Église s'incarnent dans la personne de Montfort et ses disciples. On peut le comprendre en examinant les bannières qui résument la vie et la mission montfortaines.

Dans son récit de l'Ascension, Luc résume son Évangile en disant: «Dans mon premier livre, j'ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné.» Jésus, son oeuvre et son message, sont la base et la raison d'être de l'Église et de tout ce qu'elle fait. Montfort explicite en quelque sorte ce message de Luc en nous montrant, dans sa vie et ses écrits, comment ce Jésus n'est pas d'abord une énigme à résoudre, ou un souvenir à entretenir, mais quelqu'un qui a aimé jusqu'au bout et qui demande à être aimé.

La première compétence de ces témoins dont parle Luc, c'est d'aimer le Christ passionnément. Montfort en est un exemple. Mais comment accueillir le Christ pour qu'il devienne le coeur de notre existence, le centre autour duquel gravite toute notre vie?

Dans la première lecture, Jésus nous a donné la réponse à cette question: «Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous: alors, vous serez mes témoins!» Montfort nous invite à accueillir le Christ depuis ce centre spirituel où il fut accueilli la première fois, c'est-à-dire la Vierge Marie. Si Marie a pu accueillir le Christ si parfaitement dans son âme et dans sa chair, c'est grâce à l'Esprit qui est venu sur elle et l'a recouverte de son ombre.

L'Esprit continue en nous son oeuvre. S'il fait de nous des témoins, c'est d'abord parce qu'il fait de nous des amoureux du Christ. On peut remercier Montfort de nous faire découvrir en Marie l'humanité parfaitement docile à l'Esprit. «Plus le Saint-Esprit trouve Marie, sa chère et indissoluble Épouse, dans une âme, a-t-il écrit, et plus il devient opérant et puissant pour produire Jésus-Christ en cette âme et cette âme en Jésus-Christ.»

On comprend que le pape Jean-Paul II ait voulu faire de cette dévotion le pivot de sa vie spirituelle. Et je remercie les Montfortains d'avoir fait de ce sanctuaire, un lieu où on nourrit une dévotion saine, profonde, évangélique à Marie.

Arrêtons-nous maintenant à l'Évangile de Marc proclamé aujourd'hui. Jésus y donne des signes de son action avec nous et à travers nous. Le dernier de ces signes est celui qu'on voit le plus souvent dans la vie même de Jésus: «Ils imposeront les mains aux malades et les malades s'en trouveront bien.» Le premier ministère du Père de Montfort a été auprès des malades. Jeune ordonné, il est arrivé à l'Hôpital Général de Poitiers, où étaient accueillies toutes les personnes qui traînaient dans les rues: les handicapés, les orphelins, les pauvres. Toute sa vie, Montfort les a aimés passionnément. Il recommandait même à ses successeurs d'en accueillir à leur table, à chaque repas du midi, ce qui se fait assez souvent ici au Sanctuaire m'a-t-on dit, grâce aux bons soins du Frère Côme!

Lorsque les Montfortains arrivèrent au Canada en 1883, ce fut pour s'occuper des orphelins de Montréal. Les Pères et Frères montfortains venus de France ouvrirent un orphelinat agricole à Montfort, près de Saint-Jovite. Ils contribuèrent ainsi à l'effort de colonisation du curé Labelle. C'est là «une autre des belles histoires des pays d'en-haut!» Mais bien peu de gens la connaissent. Pour Montfort, le pauvre était bien plus qu'une occasion d'imiter le Christ. Pour lui, le pauvre, c'était le Christ. Il l'a illustré dans cet épisode survenu à Dinan. Voyant un pauvre malade et écrasé dans la rue, il le prit dans ses bras, se rendit à la résidence des missionnaires et frappa à la porte en disant: «Ouvrez à Jésus Christ!»

Je souligne un quatrième élément qui apparaît sur la bannière où on voit Montfort au pied d'une grande croix. Si la croix est présente dans la foi chrétienne et dans la pensée et l'expérience de Montfort, ce n'est pas parce que nous sommes masochistes ou que nous aimons souffrir. C'est parce que nous expérimentons le Mal en nous et autour de nous. Quand on fait de l'amour le sens et le moteur de sa vie, on se frappe inévitablement au mal. Le mal est la source de la souffrance qu'a connue le Christ, qu'a connue Montfort et que connaît tout croyant qui veut suivre le Christ et vivre à sa manière.

La liturgie d'aujourd'hui souligne une croix que connaît notre Église du Québec. Dans la première lecture, les Apôtres posent une question à Jésus: «Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël?» Le règne de Dieu est la raison même de la venue de Jésus. Or les disciples ne savent pas trop où ce projet s'en va, puisque Jésus les quitte au moment même où ils ont le plus besoin de lui. Leur croix, à ce moment de leur vie, sera de ne pas connaître l'avenir, et de le remettre entièrement entre les mains de Dieu. Comme l'a écrit Montfort, les croix les plus difficiles à porter sont souvent celles que nous n'avons pas choisies.

Je relève un dernier point qui est au coeur de la liturgie d'aujourd'hui: la mission. «Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création.» Montfort s'est consacré à cette tâche et c'est pour la poursuivre qu'il a ardemment désiré «une petite et pauvre compagnie de bons prêtres.» Les Montfortains du Canada ont été témoins de l'Évangile au milieu de nous. Ils ont fondé une mission au bout du monde: en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ils ont aussi oeuvré dans l'Ouest canadien, en Haïti et en Afrique.

Fait à noter: Montfort qui voulait une communauté de prêtres, a d'abord appelé à sa suite un laïc: Mathurin Rangeard! Ce jeune homme faisait le catéchisme aux enfants, il animait les temps de prière, il faisait chanter les foules durant les liturgies. On peut peut-être le considérer comme l'ancêtre de nos animateurs et animatrices de pastorale. Nombreux sont ceux et celles qui ont suivi ses pas en devenant des associés montfortains. Notre Église a besoin d'hommes et de femmes qui brûlent de l'amour du Christ, qui désirent le faire partager aux autres, qui osent se désinstaller et inventer des chemins neufs pour être témoins dans le monde d'aujourd'hui.

Que Montfort nous aide à renouveler notre foi, si nécessaire, qu'il nous bouscule. Mais surtout, qu'il nous apprenne la confiance totale en celui qui est notre Dieu et notre Sauveur. Ainsi, la fête d'aujourd'hui ne sera pas qu'un souvenir nostalgique du passé; elle sera surtout un regard plein d'espérance sur l'avenir.


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